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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

est une chose réelle, essentielle ; la création du monde signifie qu'il n'est qu'un fantôme, une chose nulle, Avec le commencement d'une chose est nécessairement posée aussi sa fin ; le commencement de la matière est déjà le commencement de sa fin. Et certes, il n'y a rien à opposer : la volonté absolue l'a fait naître, elle la fera aussi disparaître ; elle a été tirée du néant, c'est au néant qu'elle retournera. Il importe peu quand elle s'en ira ; il suffit de savoir que la possibilité de son existence comme de sa non-existence est renfermée dans la volonté d'un autre être.

La création de rien est la toute-puissance élevée à sa plus haute expression, Or, quelle est la faculté de poser subjectivement en réalité tout ce qui n'est qu'une idée, et en idéalité tout ce qui est déjà réel ? C'est l'imagination arbitraire, le bon plaisir. La création de rien est donc le miracle des miracles, et la théologie avait raison de prouver par celui-là tous les autres ; ici du moins elle était logique. Un être personnel qui a tiré le monde du néant, n'éprouvera aucune difficulté de transformer de l'eau en vin, de faire parler un mulet, de faire couler une fontaine d'un rocher. Nous verrons que le miracle à son tour n'est qu'un produit et un objet de l'imagination. Les philosophes païens respectaient trop la réalité pour permettre cet élan illimité à leur subjectivité ; ils posaient tous comme base fondamentale de leurs systèmes la formation du monde par l'intelligence divine, mais, bien entendu, la matière brute de ce monde avait déjà préexisté.

La création tirée du néant est identique avec le miracle, identique par conséquent avec la providence, car l'idée de la providence l'est primitivement avec l'autre. Certissimum divinæ providentiæ testimonium præbent miracula, dit Hugo de Groote (De verit. rel. 1,13).

Croire à une providence, signifie croire à une puissance qui dispose librement, arbitrairement de toute chose, de sorte que le monde réel vis-à-vis d'elle n'a plus la moindre valeur. La providence abolit quand elle veut les lois de la nature, de sorte qu'elle interrompt ce lien de fer, la nécessité, qui rattache la conséquence à la cause, Et quant au miracle proprement dit, il est dans toute sa beauté dans la creatio ex nihilo : la transformation de l'eau en vin est égale à une création du vin de rien, car la cause suffisante d'où le vin naît, n'existe point dans l'eau ; si elle y existait, le