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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

cret ; rien de plus nécessaire par conséquent pour elle que d’insister sur la finalité du monde.

Le monde, qu’on n’oublie jamais cette vérité si triviale aux yeux des enthousiastes religieux, le monde n’existe point pour nous par la pensée métaphysique ou hyperphysique, mais par la vie immédiate, par l’intuition, par nos sens.

La réflexion métaphysique, il est vrai, ne voit aucune puissance, aucune divinité hors d’elle, et le Dieu qu’elle finit par mettre sur l’autel de l’abstraction pure, c’est elle-même. Pour un être abstrait qui ne fait que penser, il n’y a ni chaleur, ni lumière, ni sensation quelconque parce qu’il manque d’organes de réception pour les impressions du dehors, et si nous étions des êtres de cette espèce, le monde des choses palpables n’existerait pas pour nous. Nous sommes heureusement quelque chose de plus que pensée abstraite, que réflexion pure ; les métaphysiciens diraient : malheureusement quelque chose de moins, car pour eux la nature n’est que l’autre côté, le revers de l’esprit, ce qui est une définition abstraite et négative qui n’explique rien du tout. Le métaphysicien fait de cette définition négative une définition positive et essentielle, en d’autres termes il vous prouvera, si vous le laissez faire, que la nature est nulle et que l’esprit est tout. L’esprit spéculatif ou métaphysique ne saurait être content qu’en se pensant lui-même, et il doit lui répugner de penser ce qu’il appelle son autre côté ; la nature. Elle existe cependant, et pour l’expliquer tant bien que mal, il ne trouve rien de mieux et de plus commode que de faire dériver la physique de la métaphysique, la nature de l’esprit, l’univers de Dieu. Ce sont des jeux logiques, et rien de plus.

La nature, même quand les hommes l’adorent dans des religions dites naturelles, leur paraît être personnelle, vivante, douée de sensation et de sentiment : c’est l’être humain qui s’y reflète. Les sensations agréables qu’il éprouve, viennent, dit-il, du bon côté de la nature, et les douleurs du mauvais, celles-là du bon Dieu, celles-ci du bon Dieu en colère ou, ce qui revient au même, du mauvais Dieu, du démon. Voilà donc la nature universelle humanisée, et à ce point que les Patagoniens disent : « les étoiles sont les âmes de nos ancêtres ; » les Groenlandais : « le soleil et la lune ont jadis été deux hommes ; » les Orinoquiens : « les astres ne sont que des hommes semblables à nous ; » et les Mexicains : « la lune