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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

thode empirique, quelle est sa forme, où il existe, et quel est son sexe. Un simple théologien, en 1682, avait déjà hardiment demandé : « Est-ce que Dieu est marié[1] ? » Vous riez, philosophes allemands de la haute spéculation ; mais veuillez enfin, je le répète, avoir le courage d'aller jusqu'au bout.

Dans les écrits de Jacob Boehme, le cordonnier de la ville de Goerlitz, la doctrine de la Nature en Dieu a une signification beaucoup plus intéressante et profonde, que dans ceux de ces imitateurs modernes. Jacob Boehme a une âme profondément religieuse, la religion est le centre de ses actions et de sa pensée. En même temps, il a ouvert ses yeux à l'étude moderne de la nature, au spinosisme, au matérialisme philosophique, à l'empirisme scientifique, et il s’effraie à l'aspect de l'essence mystérieuse de cette natures il 8e sait plus comment faire pour mettre tout cela en harmonie avec ses idées religieuses. Écoutez-le, comme il décrit cette terrible lutte (Extrait de J. Boehme, p. 58, Amsterdam, 1718)[2] : « Lorsque j'avais jeté un regard dans les grandes profondeurs de cet univers, avec le soleil et les astres, les nuages de pluie et de neige, je contemplai en mon esprit toute le création, et j'y trouvai dans chaque chose du bien et du mal, de l'amour et de la colère dans les créatures dépourvues d'intelligence, dans les bois, dans la pierre, dans la terre, dans les éléments, comme dans l'homme ; et quand je vis qu'il y avait du bien et du mal, et que les impies se trouvaient mieux que les pieux, et que Les barbares jouissaient des meilleures contrées, alors j'en devins triste et mélancolique, et les livres bibliques, que je connais si bien, ne purent point me consoler, et le démon m'aura probablement envoyé les affreuses pensées que je veux taire ici. » D'un autre côté, Boehme admire ce qu'il y a de beau dans la nature ; il jouit de la minéralogie, de la botanique, de la chimie il s'enivre des couleurs des pierres précieuses, du son des métaux, du parfum des fleurs, du caractère doux et folâtre de quelques animaux : « Cette grande révélation de Dieu dans le monde lumineux, lorsqu'en Dieu se manifeste la figure merveilleuse et belle du ciel avec force couleurs diverses, je ne la saurais com-

  1. Dans le Talmud on trouve même cette autre question : « Jehovah est-il du sexe masculin ou du sexe féminin ? » (Le traducteur.)
  2. En allemand : Kernhafter Auszug. etc.