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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ne serait-ce pas la force de la chair et des os, des nerfs et du sang, la force animale des instincts, la fore du corps organique et vivant ? Ne disiez-vous pas tout-à-l’heure : « La Nature sans un corps organique, sans un organisme corporel, n’est qu’une abstraction sèche et mesquine ? » Ayez maintenant le courage de votre opinion, et ne reculez point devant les conséquences de vos prémisses. Faites encore un pas en avant cette Nature, opposée à la Lumière intelligente, vous voulez qu’elle soit placée aussi en Dieu, cherchez donc à cette Nature en Dieu l’expression la plus précise, la plus réellement physique, la plus concrète, et vous trouverez la Chair avec son instinct charnel ; en d’autres termes l’Instinct sexuel, l’Instinct de la Génération ; lui, sans doute, est le plus énergique, le plus despotique de tous. Ainsi, voyez votre Dieu-Nature, ou, si vous voulez, votre Nature-Dieu c’est amare et sapere, c’est Esprit et Chair, c’est Liberté spirituelle et Instinct sexuel. Vous frémissez d’horreur. Cette impitoyable rigueur de la logique ne vous plaît pas ? Mais je n’ai fait que développer le germe de l’idée que vous venez d’émettre.

Personnalité, égoïté, connaissance de soi-même sans nature, n’est qu’un spectre ; la nature, de son côté, sans corps organique, n’est qu’un fantôme. Le corps organique, c’est la base, le sujet de la personnalité ; c’est lui qui donne à cette personnalité ce qui la distingue de toutes les autres ; l’impénétrabilité de son corps est le sceau caractéristique d’une personnalité, Or, l’organisme individuel ne l’est que comme organisme sexuel ! la personnalité de la femme se distinguera toujours de celle de l’homme, et je vous défie de me montrer un vrai organisme réel, individuel, qui ne soit ni homme ni femme.

Vous dites qu’il ne faut pas s’effrayer de la réalité physique mise en contact avec ce qu’il y a de plus spirituel ; ne vous effrayez donc pas non plus quand nous en inférons la nécessité logique de donner à Dieu un sexe. Vous reculez, parce que votre Dieu-Nature vous convient mieux enveloppé dans ses Ténèbres divines et mystérieuses, et que vous n’aimez point la Lumière de la logique, qui est pourtant aussi divine. Nous vous sommons, par conséquent, de prouver d’abord a priori, sans détours et spéculativement, que l’idée de Dieu n’est point incompatible avec forme, localité et différence sexuelle, et de démontrer ensuite a posteriori par la mé-