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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

sonnel, différent de l'homme et de la nature. Le philosophe mystique s'occupe assurément de tous les objets qui sont aussi accessibles au simple penseur rationnel : mais un objet réel quelconque n'entre dans la spéculation mystique que sous forme imaginaire. Par conséquent un objet imaginaire devient-il là un objet réel; c'est un bouleversement complet de la pensée. Dans la doctrine mystique des deux principes en Dieu, l'objet réel et l'objet imaginaire se sont mutuellement remplacés l'un l'autre. On voudrait peut-être dire : le procédé spéculatif n'a rien de choquant parce qu'il opère ce changement en bonne connaissance de cause ; mais on s'y tromperait. Ce procédé a précisément le malheur de tomber dans une faute toute théologique ou du moins fantastique : il promet de nous révéler la vie d'un autre être différent de l'être humain, et cet être est néanmoins le nôtre. C'est contre cette illusion, qui est une véritable fantasmagorie, que la critique doit lutter.

Comment, vous dites de Dieu que la Lumière, ou son Intelligence, a été précédée par ses Ténèbres, par le confus et sombre chaos de ses instincts et passions ! Les aveugles terreurs des ténèbres, dites-vous, auraient été, en Dieu, antérieures aux pures évolutions des lumières ! Quel anthropomorphisme ! Et vous, théosophes mystiques, ne voyez-vous pas encore que votre être divin est tout simplement l'être humain ?… Le procédé cosmogonique (vrai procédé chimique) en Dieu se manifeste donc par la Lumière de l'Intelligence ; de même, les Ténèbres en Dieu sont représentées dans la philosophie de Leibnitz par les Pensées confuses, puissances divines qui sont l'expression mystique de la Matière, de la Chair. Bref, les Ténèbres en Dieu se traduisent par la phrase suivante : Dieu est un Être spirituel et charnel à la fois. Voilà ce que c'est que le Mystère du Mysticisme, quand on le réduit à dire son dernier mot, et M. Schelling a beau faire, il n'en prouvera jamais le contraire, quand il écrit, par exemple : « Dieu doit avoir en lui l'origine de son existence, car il n'y a rien qui soit en dehors de Dieu, comme le disent tous les philosophes sans exception. Seulement, ils parlent de cette base de l'existence de Dieu comme d'une simple abstraction, et ils ne veulent point en faire quelque chose de réel. Eh bien ! cette base, ce point de départ de l'origine de Dieu, il faut l'appeler Nature en Dieu, c'est un Être inséparable de Dieu et en même temps différent de Dieu. La phy-