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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

aussi formel que l’est la différence entre l’univers et le créateur de cet univers.

La multiplicité ne peut être déduite que d’un être qui porte en lui la différence, ce qui est une tautologie, ou si roui voulez un axiome des plus simples. Mais cet axiome est une notion primitive, nécessaire en elle-même, un nec plut ultra de la pensée, une vérité absolue ; pensez des différences tant qu’il vous plaira, chacune enchaînée dans l’autre, et vous arrivez forcément à une dernière, qui est ce qu’on doit appeler la différence d’un être de lui-même et en lui-même. Toutes les autres innombrables différences entre plusieurs êtres sont des différences appartenant au domaine réel des sens. La dernière différence, c’est l’intérieur d’un être en lui-même, et là elle est à combiner avec la loi de l’identité. Cette dernière de toutes les différences possibles, à laquelle la pensée n’arrive qu’après avoir parcouru la longue échelle des différences extérieures, s’impose impérieusement à la pensée quand celle-ci prend au sérieux le mot de multiplicité ; elle est donc la vérité de toutes les différences possibles. Cette réflexion abstraite nous conduit ainsi à reconnaître que le principe cosmogénétique en Dieu, réduit à son abstraction élémentaire, est l’acte de la pensée, le penser, représenté en dernière analyse. Éliminez de Dieu la différence, il cessera d’être un objet pour votre pensée.


Chapitre X.

Le Mystère de la Nature en Dieu ou du Mysticisme.


M. de Schelling a renouvelé la doctrine du théosophe allemand Jacob Bœhme, celle de la nature éternelle en Dieu ; nous allons nous en servir pour la critique du principe cosmogonique et théogonique.

Dieu, disent les théosophes, est un esprit pur, une conscience lucide, une personnalité morale, tandis que la nature n’est que trop souvent confuse, ténébreuse, et tout à fait séparée de la loi morale. Comment expliquer cela ? comment faire remonter à Dieu, ce principe de la lumière et de la pureté, la nature, ce principe des