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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

forme, et entièrement fausse au fond vraie, car les choses se passent, en effet, comme elle le dit, au moins dans l’âme d’un adorateur éclairé et instruit fausse ; parce qu’elle oublie qu’il n’existe point de différence essentielle entre une image de bois et une image imaginative, pour ainsi dire. image qui n'est présente qu’aux yeux de l’esprit, mais perpétuellement présente et enracinée aux profondeurs les plus intimes de l’âme. L’adoration de l’image sculptée ou peinte, l’encens qu’on lui brûle, les hymnes, les larmes, les offrandes, les prières qu’on lui adresse, ne sont que la manifestation extérieure, physique de l’adoration intérieure, spirituelle ; ce n’est qu’un sophisme matérialiste et illogique que d’y vouloir établir une distinction essentielle qui n’existe pas, qui ne peut pas exister. Les statues du Jupiter d’Olympie, de la Minerve d’Athènes, de la Junon d’Argos furent tous les matins essuyées, frottées d’huile, parfumées et habillées, absolument comme si c’étaient des hommes ou des femmes de l’aristocratie grecque qui se faisaient faire la toilette ; voyez, par exemple, Bötticher (Idées de la Mythologie) et Creuzer (La Symbolique) ; à Rome, on servit la table aux grandes divinités, gardiennes de la république. On est convenu d’appeler ceci idolâtrie : soit. Mais n’oublions pas que cette sorte d’adoration matérielle était aussi bien l’expression de l’adoration intérieure païenne, que le culte des images catholiques est l’expression matérielle d’un culte intérieur : le paganisme avait des dieux joyeux, amis du plaisir, le christianisme dogmatique a un Dieu austère uni avec un Dieu tendre et touchant ; le paganisme adorait donc les images par des danses, des rires, des spectacles, le christianisme adore les siennes par des larmes, des extases et des mortifications de l’âme et du corps. Il n’y a là qu’une différence de forme ; une image reste bien partout essentiellement image, soit sculptée et peinte, soit simplement imaginative — pour ne pas dire imaginaire — et spéculative, et en adorant le dieu qu’elle représente on ne peut pas ne pas l’adorer en même temps ; elle est l’intermédiaire, le médiateur sans lequel l’adoration du dieu n’aurait pas lieu.

Ainsi, Bossuet lui-même, avec tout son grand talent de sophiste et de rhéteur, n’a pas plus réussi dans cette question que son prédécesseur saint Aurèle Augustin, parce que la question reste insoluble tant qu’on persévère dans le cercle vicieux de la théologie, Messieurs de religion prétendue réformée étaient également in-