Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

et comme elle appelle ce culte un usage pieux et utile, il en résulte qu’une image religieuse, pour ne pas détourner l’attention de son prototype et de son saint, ne doit pas être belle.

Une preuve historique nous est fournie par ce fait que la renaissance des beaux-arts coïncida avec la décadence, ou si vous voulez la décroissance de la foi catholique ; Politien préféra ouvertement aux psaumes de David les odes de Pindare ; le cardinal Bembo conseilla de ne point lire Plaute, et ne voulut pas même, dit-on, lire la Bible et le Bréviaire pour ne pas gâter la classicité de son beau style latin ; le goût esthétique de Léon X ne fut guère utile à l’Église.

Le culte des reliques, que l’Église poussa un peu trop loin (on adora à Munich en 1595, la chevelure et le peigne de la Sainte Vierge, et on érigea une chapelle en leur honneur)[1], et qui ne fut point étranger au piétisme germanique (on s’extasie dans cette secte surtout à propos de la blessure latérale et des gouttes de sang du Christ) se base sans contredit, en dernière analyse, sur l’idée de la personnalité. Adorez la personne, déclarez-la sainte et sacrée ; vous aurez aussi à adorer tout ce qui est en rapport direct ou indirect avec elle. Le Cantique des cantiques chante les appas de sa fiancée il chante ceux de tous ses membres ; pourquoi nier la force miraculeuse d’une esquille de la croix où le Christ avait été attaché ? Ce n’est que l’intelligence qui, se plaçant entre le principe et les conséquences du principe, rejette quelquefois celles-ci pour sauver celui-là ; l’intelligence seule était capable d’empêcher le culte de la personnalité de se transformer partout et toujours en culte des reliques.


Nous avons dit que le principe central de l’adoration des images était l’image divine, l’image par excellence. Toutes les images des saints et des saintes ne sont que les multiplications optiques de cette grande image. Quand on a une fois admis l’existence physique d’un Dieu mouillé de larmes et de sang, il n’y aura point de difficulté

  1. On adora à Trèves, en 1845, la tunique du Christ, ce qui occasionna le schisme néo-catholique ou catholique-allemand du curé Jean Ronge, honorable démocrate allemand.  (Le traducteur.)