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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Il s’ensuit que le Dieu de la tête rationaliste diffère du Dieu d’un cœur qui, même quand par hasard il se met a méditer, n’y cherche que le cœur. Le mysticisme est le cœur qui pense, il déteste donc le feu et le creuset de la critique. Le cœur d’un penseur mystique fait monter tant de vapeurs que son cerveau en devient enveloppé et obscurci ; cet homme n’arrive ni à la méditation abstraite pure et tranquille, ni à l’intuition des objets dans leur simplicité naturelle et réelle ; il ne reconnaît jamais le vrai, et comme un hermaphrodite en fait d’esprit, il identifie immédiatement et sans critiquer le principe mâle, le penser, avec le principe féminin, l'intuition. Il se crée un Dieu avec personnalité : il y combine son désir de la science avec celui de la sexualité ; car qui dit personnalité, dit sexe. Il n’y a pas de personnalité sans sexe. C’est de cette métastase maladive, de cet hermaphroditisme mystique, que le monstre est né qui s’appelle la Nouvelle philosophie de M. de Schelling ; c’est là une création tristement avortée.

Les théologiens anciens disaient que les attributs essentiels de Dieu étaient déjà compréhensibles par la raison naturelle. Soit ; mais si la raison est capable de comprendre d’elle-même l’être de Dieu, il faut bien qu’il soit l’essence objectivée de la raison. Ce Dieu est donc la raison, voilà tout. « Mais, se hâtaient-ils d’ajouter, vous ne comprendrez la Trinité que d’après la révélation surnaturelle. » Cela veut dire que la Trinité est un objet rebelle à la raison, un objet Irrationnel, déraisonnable ; un objet du cœur matérialiste et non un objet de la tête spiritualiste. Tout dogme religieux ne nous est parvenu que par voie traditionnelle, il est né dans une époque reculée qui diffère de la nôtre sous tous les rapports politiques, scientifiques, sociaux, etc. ; aujourd’hui, on ne le comprend plus qu’avec difficulté, par cela même que notre époque est une autre que celle qui lui a donne naissance. Et ne nous en effrayons point ; souvent l’homme individuel ne saurait plus penser, sentir, faire ce qu’il a fait, senti, pensé, sans peine il y a quelques années, et sous d’autres conditions. L’homme doit se convaincre que ce qui est nécessaire et vrai dans toute la force du terme, ne l’est qu’à une époque et dans un endroit donné ; cette époque, cet espace, peuvent être de très grande extension, mais, enfin, sachons que le hapax legomenon soit le sent qui ait du droit et du mérite historiques. L’univers n’aime pas des répétitions ; ton individualité existe,