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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

pluie, » écrit un bénédictin. Voilà Marie devenue une véritable déesse pluvia, comme le Jupiter pluvius, le dieu de la pluie des Romains païens. — Elle est la déesse de la douceur, de la charité, de la philanthropie, en un mot, la personnification déifiée du sexe féminin.

Et cependant, quand on regarde de plus près, on trouve que notre bon Emmeran ne nous a dit que la moitié de la vérité. Tout en reconnaissant ce qu’il y a de sublime et de vrai dans cette figure céleste, il faut avouer qu’elle représente en même temps, comme magistra castitatis, virginitatis, le principe anti-naturel de l’abstinence absolue, la castration théorique qui ne diffère point essentiellement de la castration physique ; celle-ci, je le sais, fut toujours sévèrement interdite par l’Église romaine. Détruire la fonction, la manifestation vitale d’un organe, s’appelle ainsi moral, agréable à Dieu, et faire disparaître cet organe mort, s’appelle immoral ; c’est illogique, c’est de l’hypocrisie, c’est un crime de lèse-physiologie. De là les horreurs intellectuelles et morales, les maladies physiques[1] et mentales dans les couvens inutile d’en parler davantage.

Qu’on ne nous objecte pas les trois déesses virginales du paganisme : Vesta, Diane, Minerve ; elles n’ont point la moindre analogie avec la Sainte-Vierge du christianisme, qui est la chasteté personnifiée, puisqu’elle ne peut pas ne pas la conserver. En d’autres termes : Marie, c’est la chasteté contre-nature, car ce qui est surnaturel est aussi antinaturel, ce qui est surhumain est aussi antihumain. Il n’y a de vérité et de perfection, que là où l’amour et la pensée, dont les individualisations existantes sont les deux sexes, se réunissent : tandis que le culte marian, ce cultus hyperduliae, comme l’appelle la théologie catholique, affaiblit les forces de linttelligence, du caractère pur, de la volonté. La raison s’endort, si elle n’est pas exercée, et, pendant son sommeil léthargique, la brutalité se réveille, le fanatisme atroce, sanguinaire, cannibale : Don Ignace de Loyola, ce Don Quichotte du catholicisme, en aurait founi un exemple, quand il disserta avec un Maure espagnol sur la conception de la Sainte-Vierge (Maffei, De Vita et Moribus sancti Ignatii, I, 3), si un mulet n’eût pas par hasard apaisé la colère homi-

  1. « Le cancer uterinus est très ordinaire dans les couvents de religieuses (Manuel des maladies des femmes, par le médecin E. de Sichold. I, 633). »