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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

dolorosa, riche en douleurs. De là le charme inexprimable que ce dogme a exercé.

Affaiblissez le culte de Marie, et vous affaiblirez implicitement ceux de Dieu le Père et de Dieu le Fils.

La mère de Dieu est au moins aussi réellement, ou aussi idéalement mère que Dieu est père ; la maternité n’est pas plus un paradoxe que la paternité. La Vierge Marie est une antithèse nécessaire à côté du Père divin, comme Augustin l’avait déjà entendue : « Natus est de patre semper et matre semel, de patre sine sexu, de matre sine usu ; apud patrem quippe defuit concipientis uterus, apud matrem defuit seminantis amplexus Serm. ad pop. I, 372). » En outre, le Fils divin, qui naît sans faire naître à son tour, est évidemment un être passif, il reçoit son existence du Père divin, il dépend en sa qualité de fils de celui-ci, qui représente en ce cas la spontanéité virile ; le Christ est donc l’âme de Dieu regardée dans ce qu’elle a de doux, de touchant, de pardonnant, de conciliant, bref de féminin. Dans la doctrine mystique du judaïsme talmudiste, en effet, Dieu est selon les uns un être mâle et l’Esprit-Saint un être féminin, qui ont engendré sexuellement le Fils divin et l’univers (Le siècle du salut, p. Gfroerer, I, 332), ce qui se retrouve à peu près dans la doctrine des Herrnhuthiens, qui appellent l’Esprit-Saint la mère du Christ.

Croire à l’amour de Dieu, veut dire croire à la Femme, car l’amour appartient à la femme comme l’intelligence à l’homme, et je ne crains point d’affirmer que ceux qui n’aiment pas la femme, ne peuvent point aimer l’humanité, l’homme en général. Le protestantisme a détrôné la Sainte-Vierge, et cela malgré le Livre de la Concorde (Nv. 8. Confession d’Augsbourg) qui dit : « Marie est la Vierge bénie, digne des plus grandes louanges, elle qui est réellement mère de Dieu et Vierge en même temps ; » mais le protestantisme n’en a point à se féliciter. Les armes du raisonnement dont il usa contre la femme du ciel, se sont tournées contre le Fils divin, contre toute la Trinité qui fut renversée comme n’étant qu’un anthropopathisme, qu’un anthropomorphisme. Cela fait, le système protestant lui-même fut aussitôt sapé et miné en tout sens : il remplaça, je le sais, la femme céleste par la femme terrestre, mais il aurait dû avoir le courage d’effacer à la fois la mère, le père et le fils de Dieu, toute cette famille divine. Il ne l’a point fait, il a voulu