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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

d’abord le simple, plus tard le compliqué, d’abord la période géologique, plus tard les végétaux et les animaux, il serait du non sens d’avancer le contraire. Soyez logiques : vous admettez la cause première, permettez-lui aussi de se passer de toute cette foule innombrable de causes intermédiaires, véritables divinités subalternes, et ne vous offusquez pas quand on parle d’un Dieu qui comme Apollon tire directement avec des flèches sur des hommes, qui comme Jupiter fait trembler votre âme par le tonnerre, qui épouvante les pécheurs par ses comètes et les flammes infernales, qui de sa propre main attire le fer vers le magnète, qui de son doigt remue le flux et reflux de l’Océan. Les théistes, en supposant une cause première inexplicable, ne prouvent par là que leur impuissance d’expliquer la vie universelle : ils font des bornes de l’intelligence humaine autant de bornes de la nature. Remarquez cependant que cette impuissance est relative et subjective ; elle va en décroissant par le développement des sciences et de la vie sociale.

Il ne faut jamais séparer Dieu le créateur de Dieu le conservateur du monde ; Luther est logique quand il dit : « en un mot, toutes les créatures ne sont que les masques de Dieu, dont il pourrait se passer s’il le voulait. » Mais, s’il s’en passe, le monde disparaît ; si Dieu ne peut pas s’en passer, le monde peut se passer de lui ; voilà un dilemme.

Notre globe pour arriver à son état actuel, a dû parcourir une longue série d’évolutions et de révolutions. Sans adhérer strictement à cette hypothèse qui veut qu’à une certaine époque il n’y avait absolument que des coquilles et des moules, ou des poissons, ou des amphibies et point d’autres créatures en même temps, on doit avouer que la vie se développe par des conditions successives. Encore aujourd’hui, c’est un fait aussi remarquable que mal expliqué, des végétaux et des animaux peuvent naître sans le concours de la génération dite organique. L’origine de l’existence organique n’est donc point un acte isolé, un acte séparé des conditions vitales ; au contraire, le moment où la température et les élémens se trouvaient dans des combinaisons suffisantes, était aussi celui où les corps organiques apparaissaient. La terre entrée, pour ainsi dire, dans sa phase humaine, devait donc par sa propre énergie produire des hommes.

Cette force productive de la nature, au reste, n’est point illimitée