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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

existe entre père et Fils ; il doit son existence personnelle à un petit mot, à un nom. Les orateurs de l’Église primitive, on le sait, l’identifiaient avec le Fils, et notre analyse ne s’occupera pas de lui ; il suffit de dire qu’il est la représentation de l’âme religieuse concentrée à elle-même, l’enthousiasme religieux qui se reconnaît et s’adore lui-même, la créature qui soupire après Dieu, bref la religion personnifiée et représentée à la religion. Sa personnification n’est qu’un hors-d’oeuvre oriental.

Ce qu’il y a de vrai et de beau dans la Trinité, c’est qu’elle ne contient au fond que deux hypostases ; deux personnalités et pas davantage sont la véritable expression de l’amour, de la charité et de l’amitié. Le Père, la lumière : Le Fils, la chaleur ; Exigit ergo Deus timerit ut Dominus, honorari ut pater, ut sponsus amari ; quid in his praestat, quid eminet ? Amor dit saint Bernard (Sup. cant. serm. 83).

Le Cœur n’embrasse que ce qui vient du cœur ; l’intelligence pure niera toujours le Fils, mais l’intelligence modifiée par le cœur l’adorera plus qu’elle n’adore le Père. Le Fils, le cœur, est un mystère, et c’est précisément la particularité du cœur d’être un mystère, non à l’intelligence pure, mais au cœur. Le catholicisme romain représente l’âme, le cœur de la femme, tandis que le protestantisme prend pour principe, l’âme, le cœur de l’homme ; de là, entre autres, le culte de la Mère de Dieu dans le catholicisme. Et en effet, il ne faudrait point prendre dans un sens allégorique et détourné le rapport qui existe dans ce dogme entre le Père et le Fils ; les chrétiens primitifs, et ce n’est que d’eux que je parle ici, remplaçaient de bon cœur l’amour réel de la famille humaine par cet autre amour aussi intensif, mais purement idéal, qu’on qualifie aujourd’hui de mystique. Ils s’absorbaient pour ainsi dire dans cet amour hyperphysique, absolument comme s’il eût été un mouvement naturel et ce n’est que de cette manière qu’ils étaient capables de sentir une admiration sans bornes, une sainte ivresse en méditant sur le dogme de la Trinité ; écouta, par exemple, saint Anselme (Hist. de la phil. p. Rixner II, append. 18) : dum Patri et Filii, etc. « Quand je contemple les propriétés et la communion si sublime, si délicieuse de Dieu le Père et de Dieu le Fils, alors je n’y trouve en effet rien de plus délicieux que l’affection mutuelle de leur amour. » La véritable troisième personne, hypostase infini-