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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tressaillit plus souvent, plus profondément qu’elle n’ose en convenir, quand l’amour fait fuir sa grande et pénétrante lumière sur l’abîme de notre désorganisation. C’est bien lui qui unit ce qu’avaient séparé la foi religieuse et les préjugés ; il joint Dieu, à l’homme et l’homme à Dieu ; vrai terme moyen, comme disent les anciens docteurs du mysticisme, il est le principe médiateur entre ce qui est parfait et ce qui est imparfait, le lien entre l’être entaché de péchés et l’être qui est au- dessus de tout péché. Il est donc évident que les péchés ne sauraient être remis que par un être aimant, doué de chair et d’os, de nerfs et de sang, c’est-à-dire par l’Homme-Dieu ; un dieu moral, je veux dire la morale elle-même, ne pardonnerait jamais des actions immorales. C’est ici le point pivotal d’un dogme dont le chapitre suivant aura à s’occuper ; c’est d’ici que le sang du Christ, le sang humain devenu mystère, est tenu, car le véritable Dieu chrétien, personnifié dans la figure de Jésus-Christ, a le droit, a le besoin de pardonner, chose qu’il ne peut point faire tant qu’il reste renfermé dans la terrible et immense majesté de Dieu-père, de Jehova, de la loi morale : « Dieu seul, si vous voulez traiter avec lui sans son fils, n’est qu’un Dieu de la terreur, qui ne vous apportera aucune consolation (Luther, XV, 298). »

La nature, l’univers sont sans valeur aux yeux du vrai chrétien ; il ne pense qu’au salut de son âme ; saint Bernard dit : « A te incipiat tuya et in te finiatur, nec frustra in alia distendaris, te neglecto. Praeter salutem tuam nihil cogites, » Et encore : « Si te vigilanter homo attendas, mirum est si ad aliud unquam intendas (Tractat. de XII. grad.) Orbe sit sol major, etc. » « Il importe peu de savoir si le soleil soit plus grand que la terre, ou si n’ait que la dimension d’un pied ; si la lune possède une lumière propre à elle, ou si elle l’emprunte d’un autre astre quelconque ?  » « Quae necque scire competndium, neque ignorare detrimentum est ullum… Res vesira in ancipiti sita est : salus dico animarum vestrarum, » dit Arnobius (adv. gentes, 2, 61). Lactance trouve qu’il importe peu de connaître la source géographique du Nil, peu d’avoir appris le radotage des astronomes : « Quaero igitur ad quam rem scientia referenda sit : si ad causas rerum naturalium, quae beatitudo erit mihi proposita, si sciero unde Nilus oriatur, vel quicquid de coelo physici delirant ? (Instit. dic., 3. 8). » Aurèle Augustin (de More eccl. cath., I, 21) s’exprime aussi sévèrement : « Etiam curiosi