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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

des théologiens comme Albertus Magnus (Tract. 16. Quaest. 102, 3.) ont deux ou trois fois dit qu’il fallait aimer la vertu pour elle-même, ils l’ont dit par mégarde, quandoquidem bonus dormitat Homerus… Mais cette idée est déplorable : vous dégradez les vertus si vous les aimez à cause de je ne sais quoi, au lieu de les adorer par et pour elles-mêmes.

Un fils qui ne ment pas pour ne pas déplaire son père, est assurément un enfant obéissant et louable, mais encore assez éloigné de la vertu. L’idée de la vertu, voilà la première, ce n’est que par elle que celle d’un Dieu se précise et se maintient dans la pureté ; si non, vous aurez bientôt le Dieu de la nonne hystérique et nymphomane, ou du piétiste langoureux et obscène. La personnalité divine ne doit donc être qu’un accessoire, et alors elle devient superflue.

Nicolle, l’ami intime de Pascal, écrit en bon théologien : qu’y a-t-il de plus dur en apparence (??) que la condamnation d’enfants pour le crime d’un seul homme (Adam)… C’est par la vérité des dogmes qu’il faut juger s’ils sont cruels. Tout ce que Dieu fait ne saurait être cruel, puisqu’il est la souveraine justice » (Rep. aux quest. 874). Cela signifie : toute chose que Dieu fait est bonne, même si elle était la plus atroce, la plus injuste, la plus infâme, car le bien tel qu’il s’applique à Dieu doit être entendu d’une façon tout autre que chez l’homme, dont les faibles idées, comme Nicolle s’exprime, ne peuvent pas juger sur ce qui est juste ou cruel.

Notre Leibnitz, dans sa chevaleresque complaisance pour une aimable reine, et parce qu’il était tolérant de nature envers des opinions contemporaines dont son intelligence universelle, je t’espère du moins, s’était émancipée au fond, démontre dans sa Théodicée entre autres thèses de la même valeur aussi celle que Dieu ne peut pas pécher tout faisant ce que l’homme appellerait crime (176).

Le calvinisme dit que Dieu qui désapprouve publiquement te péché, l’approuve en secret (Rép. aux quest. 842), et Xénophane reçoit pour réponse de ses compatriotes idolâtres : « Insensé, tu oses reprocher à nos divinités leurs actions parce qu’elles ont de la ressemblance avec ce que nous autres mortels appelons péché et crime ? Tu ne sais donc pas que l’adultère des dieux n’est point un adultère humain ? » Heureusement, chrétiens et païens valent