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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

ce qu’il y a un Démon ? » Cette question vaut bien l’autre : Bayle peut donc dire que cette foi reste sans aucune influence sur le caractère moral de l’homme.

Leibnitz se fait l’avocat des dogmes du point de vue de la nécessité rationnelle : « puisque Dieu a permis le vice, dit-il (Théodicée 2, 124), il faut que l’ordre de l’univers, trouvé préférable à tout autre plan, l’ait demandé ; Dieu veut l’ordre et le bien, mais il arrive quelquefois (??) que ce qui est désordre dans la partie est ordre dans le tout… La permission des maux vient d’une espèce de nécessité morale » (128). C’est bien, mais comment des théologiens n’y ont-ils pas vu une hérésie ? car le mal, selon leur doctrine, est surnaturel, diabolique, et ne peut être anéanti que par quelque autre chose d’aussi surnaturel mais antidiabolique, par l’incarnation de Dieu. La théologie doit toujours maintenir l’origine du péché deo inrito et inscio, à l’insu et contre la volonté de Dieu, car le péché est si puissant, et il éprouve une si forte antipathie contre le péché, qu’il se voit obligé de verser son propre sang pour en triompher. La dernière folie de toutes dont la théologie se rend coupable, est donc de croire que le péché ait été prémédite d’avance par Dieu : s’il l’a prémédité, la grande tragédie divine n’est qu’une mesquine farce. Voilà comme la théologie blasphème à son insu.

De temps en temps les chrétiens se souvinrent, à ce qu’il parait, de la force innée de la vertu : Thomas d’Aquin, Hugo de Groot dirent que, même s’il n’y eut pas de Dieu, nous serions obligés de suivre les lois du droit naturel ; mais ces aveux isolés sont sans importance parce qu’ils contredisent la foi. Et du reste, quoi de plus contradictoire en soi, que la théologie ? la critique n’en doit pas prendre acte, et si elle le fait, ce ne sera que pour en conclure la guerre éternelle entre la foi et la raison.

Leibnitz[1] reproche à Bayle une idée sur le péché originel comme si elle était particulière au philosophe français, il ne voit donc pas combien elle est théologique ? il ne voit donc pas combien

  1. Il avait le malheur de se compromettre par son essai de fusion, non des Églises romaine et protestante (qui lui aurait peut être réussi sans la perfidie de l'évêque de Meaux), mais de la théologie et de la philosophie. Il voulait défendre le christianisme orthodoxe contre le semi-christianisme, mais alors il