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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

anthropomorphismes très innocents et purement allégoriques, la colère, la jalousie, l’ambition dont le Dieu théologique s’est paré. Cette excuse vient du raisonnement et non de la foi ; les annales du christianisme prouvent clairement que la colère et l’orgueil de son Dieu possèdent toutes les qualités de la réalité la plus matérielle : les larmes et le sang des chrétiens des catacombes dans les trois siècles romains ne sont qu’une goutte, en comparaison avec cet océan de sang et de larmes des hérétiques que l’Église triomphante faisait couler pendant treize siècles. Ces idées se retrouvent même comme des raisons pénales dans les codes sanglants de Justinien et de Maximilien, ce qui met le comble au déshonneur du christianisme. Ce qu’il a de démoralisant, c’est la signification qu’il donne à la foi : « Elle seule, dit-il, vous rendra bienheureux, or sans les bonnes œuvres elle ne vaudrait rien, donc vous êtes obligés d’en faire. » Mais abstraction faite des sophismes de cette phrase, qui a permis à la foi de mettre de bonnes œuvres à la place des vertus ? C’est ravaler singulièrement la valeur de celles-ci ; là où la vertu n’est plus principe, elle est hors-d’œuvre et l’homme la perd de vue. Le christianisme tombe ici dans la faute immorale de l’épicurisme, qui lui aussi disait : « Le plaisir vous rendra bienheureux, or sans de la vertu point de plaisir, donc vous devez être vertueux » « Non est voluptas sine virtute, inquit. Sed quare ante virtutem est ? de ordine putas disputationem esse ? de re tota et de potestate ejus ambigitur, non est virtus si sequi potest ducere debet. (Sénèque, de benef., 4, 2.) »

L’ancien athéisme prétendu spéculatif consiste, on le sait, à nier l’existence de Dieu, il efface celle-ci, mais sans effacer les qualités de Dieu ; il a parfaitement raison vis-à-vis de la question « un Dieu existe-il ? » car cette formule est applicable à je ne sais combien d’objets. On demande alors : « Est-ce qu’il y a un Dieu ? » Comme : est-ce qu’il y vraiment une Amérique ? Dans l’un comme dans l’autre cas il s’agit d’un objet physique, matériel, objectif, tombant entièrement dans l’horizon de nos sens corporels, bref empirique, mais dans la question sur Dieu l’existence ne peut être vérifiée, il y a donc là contradiction intérieure, c’est là l’origine de l’athéisme des anciens. La notion de l’existence telle qu’on la comprend dans la formule précédente, est éminemment dépourvue d’esprit et d’intelligence, elle est applicable aussi au démon : « Est-