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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

a par là même la valeur d’une loi absolue, universelle aux yeux de la raison.

Penser, c’est vivre en soi ; agir, c’est vivre hors de soi. Delà vient la thèse qui dit : la pensée est la liberté des dieux immortels, débarrassés qu’ils sont de toute influence extérieure c’est bien là le Brahma des Indiens. Malebranche (Hist. de la philos., p. Louis Feuerbach, p. 322) dit : « Il y a peut-être des êtres raisonnables qui ne nous ressemblent point, mais ces êtres ne pourraient pas ne pas adhérer aux fois de notre logique ; eux aussi trouvent sans doute que deux fois deux font quatre, et qu’il faut préférer son ami à son chien, » et Chr. Huygens (Cosmotheor. I) demande : « Exstaret ne alibi diversa ab hac ratio ? Jugerait-on comme infamie, comme crime chez les habitants des planètes, Jupiter ou Mars, ce que nous appelons vertu ? Certes, ceci n’est guère probable, ceci n’est point possible. » Bref, nous ne pouvons point imaginer une intelligence entièrement et essentiellement différente de la nôtre ; jamais un homme religieux n’adorera deux êtres suprêmes à la fois, et la cause en est que la raison humaine ne peut point abdiquer, se renier elle-même. Elle est et demeure une et indivisible, et partant infinie, éternelle ; elle n’a point de rival ni d’égal, elle n’est point espèce d’un genre, ni individu d’une espèce : elle est à la fois genre et individu, existence et essence. Elle est incomparable, elle porte en elle-même la source de toute combinaison, de toute comparaison ; elle est immense et incommensurable, nous mesurons l’univers à l’aide de notre intelligence. Elle ne se laisse jamais classer, comprendre sous un principe dit supérieur ; elle est assez puissante et vaste pour embrasser tout. Ainsi, c’est bien elle qui peut parfaitement bien revendiquer tout ce que les métaphysiciens ont dit de leur Dieu ; chacune des définitions spéculatives et théosophiques, par exemple, la coïncidence de l’existence de Dieu avec l’essence de Dieu, l’identité de l’attribut et du sujet, etc., peut également se dire de la raison.

Toutes les définitions métaphysiques de Dieu sont des idées abstraites dessinées d’après un original et cet original s’appelle intelligence de l’homme.

Enfin, elle doit aussi être regardée comme l’être de la nécessité, l’être nécessaire par excellence. La raison existe. Pourquoi existe-t-elle parce que sa non-existence serait un non-sens, parce que