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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tels, » voilà les épigraphes de ceux qui ont pris pour guide la lumière monotone et indifférente qu’on appelle intelligence. Impassible et apathique au fond, elle est bien la mesure des mesures, la règle des règles, la conscience absolue que l’homme individuel acquiert de la nécessité, du connexe causal, du droit incorruptible et salutaire ; la raison lève le voile qui cache tes défauts et les faiblesses de nos amis les plus chéris, car elle se tient éternellement dans l’abstraction qu’elle fait des créatures particulières. Elle marche droit au centre des choses — des phénomènes — elle construit la science. L’astronomie, la physique, les mathématiques, la philosophie, voilà ses manifestations. Elle doit donc sèchement, simplement nier l’anthropomorphisme religieux, et le dieu qu’elle décrétera ne sera que sa propre essence à elle, objectivée et élevée triomphalement au trône solitaire de l’univers. C’est l’Être-Suprême, sans passions, sans émotions, sans besoins, et surtout sans anthropomorphismes ; pourquoi, en effet, se ferait-il homme ? — Ce Dieu, qui n’est point fini, ni humain, ni matériellement perceptible aux sens, ce dieu n’est qu’un objet de la pensée. Ce Dieu est l’être abstrait et négatif, sans forme ni image, et qui voudra le reconnaître devra devra procéder via negationis, par la négation et l’abstraction. Ce Dieu n’est que l’essence objectivée de la faculté pensante ; pour concevoir l’idée d’un esprit, l’homme ne peut faire autrement que prendre pour modèle l’intelligence humaine, tout en la débarrassant des étroites limites de l’individualité ; tout autre esprit n’appartient qu’à la superstition religieuse et métaphysique. « Dieu, disent bien des philosophes païens, des pères de l’Église et des scolastiques, Dieu est l’Être immatériel, l’Intelligence pure, l’Esprit pur : à bas donc toute image divine. » Certes, ils ont raison mais ceux qui disent : « Tu ne peux pas te faire une image de l’Intelligence, » ont-ils peut-être tort ? Non, certainement non. Personne ne saurait dire comment se fait l’acte mystérieux qui s’appelle le penser, la méditation, la conscience du moi.

On ne voudra pas accuser d’exagération celui qui appellerait la conscience l’énigme des énigmes, et dans les ouvrages des antiques mystiques, des scolastiques et des pères de l’Église de trempe mystique, nous trouvons souvent une comparaison aussi mystique que magnifique entre l’incompréhensibilité de Dieu et l’incompréhensibilité de l’intelligence de l’homme ; comparaison qui constitue au