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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

trouve subordonné. La réflexion qu’il fait à propos de ces objets, est religion. Ainsi, par exemple, toute existence organique dépend du changement des saisons et de la température, l’homme s’en aperçoit et le solennise dans les fêtes du culte national ; c’est là sa première confession religieuse. Tel homme, telle tribu, tel peuple ne dépend pas de la nature en général, mais des prairies, des marais, des monts, du désert, des eaux, des végétaux et des animaux qu’il trouve dans son pays natal ; l’Égyptien ne serait point Égyptien dans un pays autre que le sien, il adore les créatures de l’Égypte, les astres qu’il y voit, les météores qui sont propres à l’Égypte. L’idée de l’humanité n’existe pas encore pour les nations de la haute antiquité. Avec beaucoup de peine l’homme se dégage de l’état primitif, et il ne le fait au commencement qu’à l’aide des animaux, au lieu de se laisser instruire par des anges et des divinités, comme ont imaginé les théologiens. Quelques animaux sont dans ces premiers temps si nécessaires à l’homme, que sans eux il disparaîtrait de la terre.

Il adore par conséquent ces êtres, auxquels il doit et la conservation de son existence et l’origine de sa civilisation[1] : le taureau et la vache dans l’Inde orientale, en Syrie, Phénicie, Égypte et Italie ; le cheval chez les Germains et les Parses ; « sans l’intelligence du chien (dit le Zendavesta dans le Vendidad, qui en est le livre le plus authentique) il n’y aurait pas de société humaine, si le chien ne gardait plus les rues et les chemins, tous nos biens seraient enlevés par des brigands et des loups. » Et les chrétiens, qui n’adorent plus la nature parce que leur existence ne dépend pas à leurs yeux de celle-là, mais d’un tout autre être, ne s’inclinent devant lui que parce qu’ils y voient l’Être-Suprême, ou l’Être dont le leur est dépendant, l’Être de leur être. En d’autres termes la vénération de Dieu est un résultat de la vénération de l’homme pour lui-même. Quand vous méprisez votre vie ou vous même — au commencement et normalement l’homme ne distingue pas entre sa vie et soi-même — vous ne pouvez estimer la cause de votre vie

  1. On adore l’animal, dit Hegel quelque part, aussi parce qu’on est frappé par l’aspect de cet automate vivant et mystérieux, qui ne se trompe pas, qui sait tout ce qu’il lui faut sans l’avoir appris, et dont l’âme toujours naïve et instinctive, a pourtant des rapports si surprenans avec l’âme réflective de l’homme.  (Note du traducteur.)