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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

esthétique s’en réjouit : les lois rigides de la cristallographie n’offrent un intérét attrayant qu’à l’intelligence. Le vieux Reimarus l’a déjà très bien dit : «La raison n’est susceptible que de la raison et de ce qui en émane (Vérités de la religion naturelle, 4, 8). » Je suis donc parfaitement autorisé d’en conclure, que tout ce qui, dans le domaine de la spéculation transcendente métaphysique (plutôt hyperphysique) et le religion, n’a qu’une signification secondaire, la signification d’un moyen, d’un milieu, d’un instrument, d’un organe, que tout ceci renferme, à la vérité, la signification du primitif, de l’essence elle-même. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple des plus vulgaires, la religion dit : « Le sentiment doit être appelé l’organe essentiel de la religion, une faculté de l’organisme humain par laquelle l’homme religieux se met en contact avec son Dieu » ; phrase qui, après sa transfiguration rationnelle et philosophique, devient celle-ci « Le sentiment est ce qu’il y a de plus sublime, riche, grandiose, le sentiment humain est divin. » En effet, comment pourrait l’homme religieux percevoir les choses divines, si ce soi-disant organe de la religion n’était pas lui-même l’essence divine ? Ce qui est divin, n’est reconnu comme tel que par ce qui l’est également ; Dieu n’est reconnu que par Dieu.

D’ailleurs, l’objet de la religion, cela soit dit en passant, le véritable noyau de la vieille foi chrétienne, pour ainsi dire, disparaît aussitôt que le sentiment se voit proclamé élément principal de la religion. Le sentiment, auquel on a attribué de la divinité, se voit ainsi sacré, canonisé ; de là il n’y a qu’un pas à l’indifférence sur l’objet de ce sentiment divinisé, et à la proclamation de la thèse suivante : « Le sentiment, c’est l’Absolu, c’est Dieu. »

Remarquons seulement que la seule manière de sortir de cette difficulté, est de distinguer entre le sentiment personnel de l’individu humain, et la nature générale du sentiment, l’essence du sentiment en général. Le sentiment, dans la personnalité individuelle, est toujours sous l’influence d’éléments plus ou moins hostiles, tandis que la nature du sentiment est illimitée, infinie ; delà nous arrivons forcément à dire, que Dieu est le sentiment pur, sans bornes, sans limites. Ce sentiment est athée aux yeux de la foi orthodoxe ; celle-ci rattache soigneusement la religion à un objet extérieur, celui-là nie et renie le Dieu objectif, extérieur, le sentiment est son propre Dieu à lui, son Dieu intérieur, et il ne verrait de