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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Socrate lui est « un personnage d’une importance historique pour le développement du genre humain, un des grands points de halte où l’esprit humain se replie un moment sur lui-même, pour se redresser de nouveau plus haut que jamais et pour marcher dans une nouvelle direction. » « Socrate était un modèle rempli de vertus morales une image vivante de la vertu, image pieuse et douce (Hist. de la phil. II, 55). » « et ce qu’il fit, ce n’était point moraliser, prêcher, tourmenter les gens avec de sombres exhortations ; auo contraire, cette manière d’agir, qui n’est pas une conduite rationnelle et digne d’un homme vraiment libre, n’aurait pas même trouvé place dans l’urbanité attique. Ce que ce philosophe appela vertu, on peut le lire dans le Symposion de Platon ; après ce banquet plein de verve et de sagesse on rencontre Socrate toujours tranquille, toujours maître de lui-même, et sans se sentir fatigué après deux nuits entières passées dans le cercle des amis, on le voit dans la matinée, le verre de vin à la main, assis et s’entretenant avec Aristophane et Agathon sur la comédie et la tragédie ; on le voit comme il va à l’heure ordinaire aux endroits publics où il a coutume d’aller, et s’y promener en discutant comme s’il n’avait pas interrompu le cours habituel de sa vie journalière. Voilà évidemment une modération qui ne consiste pas à jouir matériellement le moins possible, une abstinence timide ou orgueilleuse, ni une mortification spontanée ou calculée d’avance ; c’est plutôt l’énergie grandiose de la conscience qui sait se maintenir debout au milieu de l’immodération physique. Gardons-nous de placer Socrate au rang de ceux qui se vantent du titre de moraliseur (Hist. de la phil. II, 55). »

Hegel, qui construisait un système philosophique assez compliqué, ou plutôt métaphysique et transcendant, sur ce qu’il prit pour base de la doctrine chrétienne, était naturellement ennemi du christianisme officiel : « Dans notre monde chrétien, messieurs, il court un prétendu idéal de l’homme parfait, mais cet idéal ne peut point exister en masse. On nous le montre comme réalisé dans les moines, dans les quakers, et d’autres gens pieux, mais ce sont là, qu’on me permette l’expression, de tristes personnages et jamais ils ne formeraient ce qu’on appelle une nation entière ; des végétaux parasites non plus ne sauraient subsister pour eux-mêmes, ils ont constamment besoin de se cramponner à un corps organique. Si l’on