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LA RELIGION

cieux ; aussi accusent-ils les païens d’idolâtrie, parce que ceux-ci ne rendent des honneurs qu’aux créatures, au lieu de s’élever à la cause suprême, à la seule cause véritable de tous les bienfaits. Mais dois-je mon existence à Adam, au premier homme ? L’honoré-je comme mon père ? Pourquoi ne pas m’arrêter à la créature ? N’en suis-je pas une moi-même ? Pour moi qui ne date que d’hier, pour moi être déterminé, individuel, la cause la plus proche, déterminée, individuelle, n’est-elle pas la cause dernière ? Mon individualité inséparable de mon existence ne dépend-elle pas de l’individualité de mes parents ? Si je vais trop loin en arrière, ne risqué-je pas de perdre toute trace de mon être ? N’y a-t-il pas nécessairement un point d’arrêt dans ce retour vers le passé ? Ce qu’on appelle cause générale, devant tout exprimer, n’exprime absolument rien. En effet, dans toute explication des choses, on est obligé de la laisser de côté. De même la suite interrompue des causes secondes, que les anciens athées regardaient comme infinie, et les déistes comme s’arrêtant à Dieu, cette suite de causes, ainsi que le temps dont tous les instants s’ajoutent les uns aux autres sans différence aucune, n’existe que dans la pensée, que dans l’imagination de l’homme. L’ennuyeuse uniformité de leurs effets successifs est brisée, détruite dans le monde réel par l’individualité des choses et des êtres, qui est toujours quelque chose de nouveau, d’indépendant, d’absolu. Certainement l’eau, substance divine au point de vue des religions de la nature, est un composé d’oxygène et d’hydrogène ; mais elle n’en est pas moins un être neuf, original, dans lequel disparaissent les propriétés des éléments qui le composent. Certainement