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LA RELIGION

tianisme a donc son origine fondée dans la nature de la religion, et il n’en pouvait être autrement.

Sa seconde origine est temporelle, historique. Le christianisme ne pouvait venir au monde qu’à l’époque où il y a fait son apparition, à l’époque de la ruine universelle, de la plus horrible corruption, de la disparition de toutes les différences nationales, de tous les liens moraux entre les peuples, en un mot de tous les principes qui soutenaient et agitaient le monde ancien pendant toute la durée des peuples et des âges classiques. Ce n’est que dans un temps semblable que la religion pouvait revêtir une forme pure, dégagée d’éléments étrangers, conforme à sa vraie nature. Combien de fois dans une famille corrompue, brisée au point de vue moral et économique, arrive-t-il qu’un enfant seul conserve un cœur pur et l’esprit domestique le plus saint et le plus profond ! Ce phénomène qui paraît extraordinaire, c’est-à-dire en contradiction avec l’attente naturelle et l’expérience, n’en est pas moins naturel et conforme à la loi. Le malheur causé par la discorde inspire à l’enfant la terreur et l’horreur de la discorde, le fait rentrer en lui-même et y chercher ce qu’il ne trouve pas dans les êtres et les choses qui l’entourent. Il en fut alors ainsi pour le christianisme. Le bien, dit-on, ne peut être reconnu que par lui-même : c’est vrai ; mais c’est aussi le reconnaître par lui-même que le reconnaître par le mal. Le sentiment du malheur causé par le mal est le sentiment du bonheur dont le bien est la source. Le manque d’un bien produit souvent les mêmes effets que sa possession. Les philosophes païens n’avaient pas conçu entièrement pour elle-même l’idée de la moralité, ne l’avaient jamais poussée à ses