Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
LA RELIGION

que de ces contradictions qui ravageaient le cœur de l’humanité. Là où l’humanité est une en elle-même, son monde ne peut pas se scinder en deux mondes différents.

L’opposition intime qui caractérisa le monde chrétien dans les époques catholiques, ce fut surtout l’opposition de la nature et de la grâce, des choses sensibles et des choses suprasensibles, de l’humanité et de la sainteté, ou, pour s’exprimer comme l’Église, l’opposition de l’esprit et de la chair. Renoncer à la vie civile et politique, rejeter comme une vanité pure toutes les occupations, toutes les choses dites mondaines, afin de pouvoir sans distraction, avec un cœur brisé et des yeux pleins de larmes, languir dans l’attente du ciel, tuer tous les penchants, toutes les inclinations naturelles ; se châtrer, se martyriser, voilà en quoi consistaient la religion, la vertu et surtout la plus haute vertu, la vertu du saint. Ce n’est pas l’amour, avec quelque emphase qu’on l’ait célébré, — car évidemment la nature n’a pas semé la haine, mais la sympathie au cœur de l’homme ; — ce n’est pas la foi, — car déjà l’homme a naturellement pour elle un penchant prononcé, — non ! c’est la chasteté seule, ou plutôt la virginité : — car la nature ne nous a donné aucune inclination pour elle, mais un penchant souverain tout à fait contraire ; — c’est la chasteté qui, en tant que vertu surnaturelle ou contre nature, était la vertu spécifique du catholicisme. Facile est la foi, plus facile l’amour, mais difficile la chasteté absolue. L’amour n’est pas surhumain, la foi non plus ; la virginité l’est. L’idée du sacrifice est la plus haute idée du christianisme ; mais quel sacrifice est plus grand pour l’homme naturel