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XXVIII
PRÉFACE

la fantaisie ; c’est-à-dire pour l’optique physique et l’optique intellectuelle, un tableau brillant des plus riches couleurs, un arsenal où l’imagination humaine puisera à jamais les types de ses créations. C’est aux artistes inspirés, c’est à un Goethe ou à un Shakespeare qu’est donnée la mission d’ouvrir sur ces merveilles les yeux des moins clairvoyants. Le philosophe a autre chose à faire. Il ne s’agit pas seulement pour lui de se délecter dans la contemplation des formes les plus diverses ; il veut deviner les lois qui président à leur génération, trouver l’unité dans la variété, la simplicité dans la complexité, et dans le désordre apparent l’harmonie. Mais parce qu’il est obligé en apparence de négliger les détails pour l’ensemble, d’analyser, de disséquer, de réduire à une formule simple les conditions de l’existence des choses, aller l’accuser de partialité, prétendre qu’il n’a d’yeux que pour un côté des phénomènes, leurs rapports, et qu’il est aveugle pour tout le reste, ce serait une insigne folie ! La science n’est indifférente à rien, ou si elle semble l’être quelquefois, c’est tout simplement parce qu’en s’occupant d’une chose elle ne peut pas en même temps s’occuper d’une autre. L’homme superficiel qui veut tout embrasser d’un coup d’œil et n’approfondit rien, qui se vante de ne rien dédaigner et fait parade d’une sympathie universelle, ne sait pas que ses facultés perdent en intensité ce qu’elles semblent gagner en extension. La science est plus minutieuse que l’art ; mais les détails ne lui font pas néanmoins perdre de vue l’ensemble. Un seul ordre