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qu’il est. C’est ce qui explique l’indifférence avec laquelle il parle de Dieu, tantôt au singulier et tantôt au pluriel, bien que l’on doive aussi prendre en considération la prudence qu’il devait observer vis-à-vis de la croyance religieuse du peuple. Sur le péché, de même que sur Dieu, ses idées étaient bien plus profondes, plus pures et plus morales que celles du chrétien. Le péché était pour lui ce qu’il y a de plus terrible, le seul malheur véritable qui pût atteindre l’homme. — Tibi persuade, præter culpam ac peccatum… homini accidere nihil posse, quod sit horribile aut pertimescendum. (Cic, Ep. ai Famil., I. 5, ep. 21.) Le châtiment du péché était pour lui le péché lui-même. — Prima et maxima peccantium est pœna peccasse… Sceleris in scelere supplicium est. (Seneca, Ep. 97.) Jam sibi dedit pœnas qui peccavit. — Pour le chrétien ce n’est pas assez ; il a besoin d’un enfer, comme il a besoin d’un secours extérieur, d’une rédemption, et cette rédemption ne le délivre pas du péché lui-même, mais de ses conséquences, qui sont la punition et la colère divine. Le païen avait son sauveur en lui-même, dans la raison qui n’était pas pour lui une faculté abstraite, mais une puissance réelle, une vis plastica, une cause efficiente, une source de santé morale et même physique. — Quidquid animam erexit, etiam corpori prodest. Studia mihi nostra saluti fuerunt. Philosophiæ acceptum fero, quod surrexi, quod convalui, illi vitam debeo, et nihil illi minus debeo. (Seneca, Ep. 78.) Le péché n’avait pas assez d’influence sur lui pour corrompre ses sentiments, pervertir son intelligence et aveugler ses yeux ; il n’avait pas ce caractère originel qui le fait pénétrer dans la substance même ; il n’avait atteint que les extrémités de l’homme sans infecter son cerveau. Le sage reconnaissait la nullité du péché et la toute-puissance, la puissance inextinguible du bien, qui s’affirme et se révèle même dans le plus scélérat.— Adeoque gratiosa virtus est ; ut insitum sit etiam malis probare meliora. Quis est qui