Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’eussent-ils pas fait dans des circonstances toutes différentes ? D’ailleurs, il ne faut pas juger ici d’après l’apparence, car des circonstances qui paraissent défavorables sont souvent en réalité excellentes, par rapport à une individualité particulière, et il ne faut pas perdre de vue les moyens par lesquels la nature se tire d’un mauvais pas. Si corporellement nous ne pouvons fuir l’étroit espace d’une prison, nous cherchons à nous en délivrer par l’esprit, par la fantaisie. L’esprit brise les chaînes du corps, il détruit un effet extérieur par une vigoureuse poussée, par un effet du dedans, et c’est précisément par son recours aux moyens les plus désespérés pour nous donner en imagination ce que nous n’avons pas en réalité, qu’il nous prouve la nécessité et la vérité de circonstances extérieures correspondant à nos besoins. En un mot, dès que l’espace manque, dans lequel une faculté pourrait se manifester, cette faculté fait ordinairement défaut. L’espace du cerveau, c’est la tête. Dans la tête l’intérieur est extérieur, l’esprit visible. S’il n’y a pas d’esprit sur le visage, il n’y en a pas dans la tête non plus ; s’il n’y a pas d’âme dans les yeux ou sur les lèvres, il n’y en a pas dans le corps. Ce qui est dedans doit se produire au dehors. C’est sur la limite extérieure d’un être que se montre le mieux sa nature ; la sensibilité la plus vive est répandue sur la surface du corps, sur la peau. Le sens cérébral ne se trouve que là où, comme nerf sensible, il sort de l’intérieur du crâne pour se porter à la surface. L’organe des sens le plus noble, l’œil lié par un gros nerf à toutes les parties du cerveau dont il semble la prolongation, est libre, nu, complètement ouvert aux objets. De même que la faculté de percevoir et de sentir