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PENSÉES DIVERSES

siologique, un organe que l’on a coutume d’étudier isolément après l’avoir arraché à ses rapports avec le crâne, le visage, le corps en général. Le cerveau n’est l’organe de la pensée que tant qu’il est lié à une tête et à un corps d’homme. L’extérieur suppose l’intérieur ; mais l’intérieur ne se réalise qu’en se produisant au dehors. L’essence de la vie, c’est la manifestation de la vie ; la manifestation de la vie du cerveau, c’est la tête. Entre le cerveau de l’homme et celui du singe il n’y a pas de différence remarquable ; mais entre le crâne et le visage de l’homme et le crâne et le visage du singe, quel contraste ! Le singe n’est pas dépourvu des conditions intimes de la pensée ; il ne lui manque que des circonstances extérieures favorables ; son angle facial aigu, la position oblique, tout à fait de travers de son cerveau l’arrêtent dans son développement, dans son essor intellectuel. On pense autrement dans un palais que dans une hutte dont le toit trop bas semble exercer une pression sur nous ; nous sommes tout autres à l’air libre qu’en prison ; des espaces étroits compriment, des espaces larges développent la tête et le cœur. Là où manque l’occasion de manifester un talent, là le talent manque aussi ; là où ne se trouve aucun espace pour l’action, là ne se trouve aucun penchant, du moins vrai, réel, qui nous porte à agir. L’espace est la condition fondamentale de l’esprit et de la vie. « Donne-moi un point d’appui, et je soulève la terre. » Or, le point d’appui est toujours quelque chose d’extérieur. Le singe ne pense pas parce que son cerveau a un faux point d’appui. Mais beaucoup d’hommes n’ont-ils pas fait des choses extraordinaires en dépit des circonstances extérieures les moins favorables ? C’est vrai ; mais que