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PENSÉES DIVERSES

est bien possible, en effet, qu’arrivé à l’âge mûr tu sois encore le même que dans ton enfance ; mais pour moi je repousse de toutes mes forces cette identité de mon état passé et de mon état présent, et tous les hommes qui pensent sont d’accord avec moi. Tant que j’étais enfant, je pensais et je sentais comme un enfant ; depuis que je suis homme, je pense et je sens comme un homme, c’est-à-dire, dans mon corps d’autrefois j’avais des idées et des inclinations enfantines ; dans mon corps d’aujourd’hui, j’ai des pensées et des inclinations viriles. En même temps que mon corps, ma conscience, mon moi sont devenus tout autres. Ce qu’autrefois j’admirais, je le dédaigne aujourd’hui et je m’en moque ; ce qui me ravissait me dégoûte, ce que j’aimais, ce que j’identifiais tellement avec moi qu’il m’était impossible de croire que je pusse m’en passer m’est aujourd’hui complètement indifférent. Le fondement de mon être n’a pas changé, bien sûr ! mais le fondement, le type, la constitution, en un mot l’individualité de mon corps, ne sont-ils pas aussi les mêmes ? Tout a marché de front ; je suis toujours le même, mais dans le même corps.




La vérité n’est ni le matérialisme, ni l’idéalisme, ni la physiologie, ni la psychologie ; la vérité, c’est l’anthropologie. Ce n’est pas l’âme qui pense et sent, — car l’âme n’est que la personnification et l’hypostase de la fonction ou du phénomène de la pensée, du sentiment et de la volonté ; ce n’est pas le cerveau qui pense et sent, car le cerveau est une abstraction phy-