Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXIII
PRÉFACE

leur répugnent. Leur impression sur nous est plutôt morale qu’esthétique. Celui-là seul qui est capable de se reporter par la pensée au temps qui les a produites et de vivre de la vie des contemporains, celui-là seul peut être saisi d’une émotion profonde. Dans la gêne du corps des personnages représentés, dans l’expression de leurs visages, dans la fixité mélancolique de leurs regards, se manifestent l’oppression qui les faisait gémir, et cette poussée intérieure par laquelle, comme la plante enfermée dans une cave, ils cherchent à fuir vers la lumière et l’air libre. C’est à mesure que l’esprit chrétien s’est affaibli qu’on a vu revenir la joie et avec elle l’art, la science, la liberté, si longtemps en exil. Si dans cet esprit, qui, après avoir longtemps consolé nos pères dans des temps affreux, a fini par les trahir parce que ses remèdes étaient imaginaires et illusoires ; si, dans cet esprit, il y a eu des éléments de beauté et de grandeur, ces éléments, inséparables de la nature humaine, existaient avant lui et lui ont survécu. Ils lui appartenaient même si peu, qu’on l’accuse de les avoir dénaturés, et que c’est en leur nom qu’aujourd’hui les penseurs le proscrivent.

Ce n’est pas devant le fantôme d’Iscarioth que Feuerbach a l’air de s’exclamer, comme dit M. Renan ; il ne croit pas aux fantômes et ne se bat pas contre des moulins à vent ; c’est devant Iscarioth lui-même, c’est-à-dire devant l’hypocrisie, le sophisme, la mauvaise foi, la perversité de la conscience et de la raison. Tous ceux qui jetteront un regard même superficiel sur dix