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REMARQUES

du tout ; mais ces sacrifices ne peuvent pas, ne doivent pas être. Ce père, par amour pour ses enfants, pour apaiser leur faim, renonce à toutes les joies, à la satisfaction de tous ses besoins intellectuels : cela pourrait être autrement ; ce que ce pauvre homme n’a pas, un autre le possède jusqu’au superflu. De cette abnégation de la vertu comme de toutes les autres douleurs morales, il ne résulte rien moins que la nécessité d’une autre vie ; ce qui en résulte, c’est la nécessité de changer le mauvais état des choses, de détruire les maux qu’on peut faire disparaître de la vie humaine. Le ciel n’a son fondement que dans notre manque de confiance en nous-mêmes, que dans notre paresse et notre ignorance. Si du malheur de l’humanité on doit conclure à une autre vie, si nos souffrances morales sont réellement la garantie de l’existence d’un monde meilleur, alors tous nos efforts pour améliorer notre condition sur cette terre sont insensés, parce qu’en détruisant le mal sur la terre nous renversons les colonnes qui soutiennent le ciel. Tout progrès de la justice terrestre se fait au détriment de la justice céleste, tout gain pour la vie présente est un déficit pour la vie future.




Ces pensées sur la mort et l’immortalité méritent le reproche qu’on leur a fait d’être négatives, en ce sens qu’elles sont écrites au point de vue non pas précisément de la philosophie hegelienne, mais de la philosophie en général. La philosophie spéculative n’est pas autre chose que la philosophie de la misanthropie, de l’ascétisme, dans le domaine de la théorie. Le philo-