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LA RELIGION

ses connaissances dans un temps déterminé sont pour lui les bornes de la nature humaine, c’est-à-dire ne sont pas des bornes pour lui, et que tout ce qu’il pense, sait, écrit et fait à ce moment lui paraît être ce que l’homme en général peut penser, croire et faire de plus grand et de plus élevé ; aussi, loin de se sentir porté à faire disparaître ces barrières spirituelles, il les divinise et en fait des lois éternelles. Chaque époque proclame immortels ses poètes, ses artistes, ses philosophes, ses héros bien que souvent, après quelque temps, il ne reste d’eux pas même leur nom. Chaque époque résout à sa manière, même les problèmes qui sont pour elle insolubles, à la manière qui est pour elle la seule vraie, car toute autre solution, même la véritable, n’aurait pour elle aucun sens, parce qu’elle ne serait pas d’accord avec le reste de sa manière de voir. Chaque époque a autant de science et de vérité qu’elle en désire et qu’elle en a besoin ; ce qu’elle ne connaît pas bien, elle se l’explique conformément à sa nature ; ce qu’elle ne connaît pas du tout, elle n’a, ce qui se comprend facilement, aucun désir de le connaître. La borne du savoir est en même temps la borne du penchant à connaître. Celui qui ne sait pas que la lune est plus grande qu’elle ne paraît ne demande pas à savoir quelle est sa grandeur. Les tendances d’un être ne dépassent pas la mesure de puissance qu’il a reçue pour les satisfaire ; il n’est entraîné à faire que ce qu’il a le pouvoir de faire, lorsque ses penchants sont réels, et non de pure imagination.

Lorsque le Grec ne pouvait pas former de ses mains le Jupiter Olympien, il n’avait pas alors dans sa tête l’idéal de Phidias, ni dans son cœur le besoin d’une