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LA RELIGION

regardent leur métier comme un art véritable et ont réellement besoin du sens esthétique, c’est-à-dire du goût ? Où est en général la frontière, la borne qui sépare l’art du métier ! L’art n’est-il pas lié aux besoins ordinaires de la vie ? Que fait-il autre chose qu’ennoblir ce qui est commun et nécessaire ? Lorsqu’on n’a pas besoin de maisons on ne bâtit point de palais ; lorsqu’on ne boit et n’estime pas le vin, on ne l’honore pas non plus par des coupes splendides ; lorsqu’on ne pleure plus les morts, on n’élève pas en leur honneur de magnifiques mausolées, et là où tes oreilles étourdies par les alléluias du ciel chrétien ne sont pas offensées par la hache du coupeur de bois, par la scie du menuisier, là elles ne sont pas charmées par les sons de la flûte ou de la lyre. Si donc l’artiste a des droits à l’immortalité, l’artisan en a aussi, et de même l’homme en général, depuis les pieds jusqu’à la tête, car le plus haut objet de l’art, c’est l’homme. Les Grecs honoraient une Vénus Callipyge, — conséquence nécessaire du développement du sens du beau dans leurs esprits, — cette Vénus ne peut-elle pas prétendre au ciel ? Chose étrange ! les premiers chrétiens dans leur fanatisme religieux ont détruit les plus belles œuvres de l’art antique, ont proscrit l’art en général, l’art indépendant qui ne se dégradait pas jusqu’à n’être qu’un instrument de la religion, car ils savaient par expérience que l’art est mondain et impie, et que celui qui voit avec plaisir de belles femmes en images les voit aussi volontiers in naturâ, et c’est précisément sur le sens de l’art sensuel, sur la Vénus Callipyge, que les rationalistes chrétiens modernes fondent leur espoir d’une vie immortelle !

Et quelle vanité ! quelle folie de donner pour preuve