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LA RELIGION

ment de nom. Il le détermine et il l’honore comme un esprit, comme un être sans passions, sans sensualité aucune ; mais il ne se laisse pas troubler le moins du monde par cet esprit dans les jouissances de la chair comme les premiers chrétiens. Il ne fait pas dériver de cet esprit la nécessité de la mortification et de l’ascétisme, il ne voit pas en lui l’architecte des cloîtres et des églises, l’auteur de la sainte Écriture, de la cité de Dieu de Thomas à Kempis, le créateur du clergé, des moines et des nonnes ; non pas ! il voit en lui l’auteur de l’Ars amandi, le Lucrèce De rerum naturâ, l’Apicius De obsoniis et condimentis ; il ne voit en lui que le créateur de la nature, de la chair et de la sensualité. L’esprit pur nous a créés sensuels ; il nous a donné le sens du goût : qui serait assez stupide pour ne pas goûter les bons morceaux de sa création ? Quiconque agit contre les penchants de la chair agit contre la volonté du Créateur. C’est ainsi que le rationaliste subordonne la théologie à la physique le supra-naturalisme au naturalisme, l’esprit sacré de la mortification à l’épicurisme. Il affirme le principe, mais il nie les conséquences qui seules font du principe une vérité, naturellement les conséquences importunes, désagréables : car pour celles qui sont d’accord avec son égoïsme et son bon plaisir, il les accepte volontiers.

Tel est son dieu, telle est sa vie future, qui n’est pas autre chose que la réalisation de ce dieu. Le rationaliste croit à l’immortalité aussi fermement que le chrétien. La nier, c’est-à-dire la nier d’une manière ouverte, décidée, sincère, virile, c’est pour lui une aberration funeste. Mais qu’on ne croie pas que le ciel soit pour lui une fête éternelle, ni que les tourments et les luttes