Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un nuage de sainteté et d’inviolabilité, qu’elle passe dans l’opinion pour le palladium de l’humanité et que ses défenseurs se montrent les plus exaltés et les plus intolérants. C’est ainsi que les hommes sont souvent bien plus affectés et bien plus irrités quand on leur refuse des talents et des mérites imaginaires que quand on nie ou quand on rabaisse leurs talents et leurs mérites réels.

Lorsque la croyance à l’immortalité devient une croyance de l’abstraction et de la réflexion, alors l’homme distingue en lui deux parties, l’une mortelle et l’autre immortelle ; d’un côté il reconnaît la mort, de l’autre il la nie. Mais cette séparation de l’homme en deux parties différentes est en contradiction avec le sentiment immédiat de l’unité, et c’est seulement dans cette unité que l’homme a le sentiment de lui-même. L’eau n’est eau qu’aussi longtemps que dure la combinaison de l’oxygène et de l’hydrogène ; les deux gaz existent bien encore après leur séparation, mais l’eau n’existe plus. De même, les parties, les éléments de l’homme peuvent bien être immortels l’un si l’on veut, “ l’âme ; ” mais cette immortalité n’entraîne pas la sienne. “ L’âme est active même dans le sommeil. ” Malgré cela, nous ne comptons pas les heures passées à dormir ou à rêver parmi les heures que nous avons vécu. Je n’ai le sentiment de moi-même, c’est-à-dire la conscience d’après laquelle seulement je compte et j’estime la durée de mon existence, que lorsque tous mes sens sont ouverts et éveillés, que lorsque je suis debout et que je soutiens et représente par cette position la dignité de la nature humaine. Les éléments de ma vie spirituelle, sociale et historique, ce sont mes