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LA RELIGION

leur obéissance à des lois n’est point la providence de la religion. Celle-ci a pour base la liberté, celle-là la nécessité ; celle-ci est infinie, sans condition aucune, spéciale, individuelle ; celle-là est bornée, soumise à mille conditions, n’embrasse que l’ensemble et laisse l’individu en proie au hasard. « Un grand nombre d’hommes, dit un écrivain déiste, se représentent la conservation de l’univers et du genre humain comme un soin immédiat, spécial de la divinité, comme si Dieu gouvernait et dirigeait selon son bon plaisir les actions de toutes les créatures. C’est ce qu’il nous est impossible d’admettre après l’examen des lois de la nature ; le peu de protection qu’elle accorde aux êtres particuliers en est une preuve[1]. Elle sacrifie sans attention et sans remords des milliers d’entre eux, les hommes y compris. Près de la moitié meurent avant d’avoir atteint la deuxième année de leur vie, ne sachant pas s’ils ont vécu. Si l’on pèse toutes ces circonstances, si l’on songe à tous les malheurs qui frappent

  1. La nature a aussi peu de soins des genres et des espèces que des individus. L’espèce se maintient par cette raison toute simple qu’elle n’est que l’ensemble des individus se conservant et se propageant par la génération. Les influences destructives auxquelles sont exposés tels ou tels membres particuliers n’existent pas pour les autres. La pluralité est une cause de conservation. Malgré cela les mêmes causes qui font périr les individus font aussi quelquefois périr les espèces. La dronte, le cerf géant ont disparu. Aujourd’hui encore, soit à la suite de destructions faites par l’homme, soit devant la marche de la civilisation, beaucoup d’autres espèces disparaissent des lieux où elles abondaient autrefois, comme par exemple les chiens de mer des îles du sud de l’Écosse, et avec le temps finiront par disparaître tout à fait.