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LA RELIGION

Comment, s’écrie-t-il, cet être immense, universel, infini, dont l’action ne peut dignement se manifester que dans l’immensité de l’univers, pourrait-il descendre sur la terre pour les besoins de l’homme, sur la terre qui n’est qu’un atome, un rien dans l’incommensurable espace ? Oh ! bien sûr, il faut avoir une intelligence bien grossière et bien bornée pour imposer à l’être universel la terre et l’homme comme limites ! Mais tu ne vois pas, rationaliste à courte vue, que ce qui s’oppose en toi à l’union de l’homme avec Dieu, et te fait regarder cette union comme une contradiction insensée, ce n’est pas ton idée de Dieu, mais l’idée de la nature ou du monde. Le trait d’union, le tertium comparationis entre Dieu et l’homme, ce n’est pas l’être à qui tu accordes directement ou indirectement la puissance et les effets de la nature ; c’est cet être suprême que tu distingues de la nature, parce que et de même que tu t’en distingues toi-même, qui possède intelligence, conscience et volonté, parce que tu es intelligent, conscient et libre. Que peux-tu donc trouver à redire, si cet être humain en vient à se manifester à tes yeux comme un homme réel ! Comment peux-tu rejeter les conséquences si tu conserves le principe, comment renier le fils si tu reconnais le père ? Si l’homme-Dieu te paraît une création de la fantaisie humaine, si tu veux un être sans anthropomorphismes, rejette Dieu en général, et appuie-toi sur la nature seule comme sur la dernière base de ton existence. Tant que tu laisseras subsister une différence entre la nature et Dieu, aussi longtemps tu laisseras subsister une différence humaine, aussi longtemps tu diviniseras en Dieu ton propre être ; car, de même que tu ne connais que la nature comme