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LA RELIGION

puissance divine, parce qu’elle dispose à son gré de la vie et de la mort. Même parmi les chrétiens, les empereurs romains avaient pour titres « votre divinité » « votre éternité. » Même aujourd’hui encore la sainteté et la majesté, titres et attributs de Dieu, sont aussi les titres et attributs des rois. Les chrétiens cherchent bien à s’excuser de cette idolâtrie politique en prétendant que les rois sont les représentants de Dieu sur la terre et que Dieu est le roi des rois ; mais cette excuse est illusoire : Dieu ne devient le régent du monde, n’est considéré en général comme un être politique que là où l’homme est tellement dominé et fasciné par la nature imposante de la royauté qu’elle lui paraît l’être suprême. « Brahma, dit Menou, forma pour son service à l’origine des temps le génie du châtiment avec un corps de pure lumière, comme le fondateur de la justice et le soutien de toutes les choses créées. C’est la crainte seule du châtiment qui met le monde en état de jouir de son bonheur. » Ainsi l’homme va jusqu’à faire du châtiment une puissance qui régit l’univers et du code pénal le code de la nature. Il ne faut donc pas s’étonner quand on le voit croire que la nature s’intéresse à ses passions et à ses souffrances politiques, et rendre l’existence du monde dépendante du maintien d’un trône ou d’une chaire pontificale. Ce qui a de l’importance pour lui en a naturellement pour tous les autres êtres ; ce qui trouble ses regards trouble aussi l’éclat du soleil ; ce qui émeut son cœur met en mouvement le ciel et la terre ; son être est pour lui l’être universel, l’être des êtres.