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LA RELIGION

cœur de l’homme le feu des sentiments religieux. Mais il disparaît le soir à l’horizon en faisant place à la nuit avec ses ombres et ses terreurs, et l’homme primitif, en le voyant ensuite reparaître, tombe involontairement à genoux devant lui, ne se possédant plus de joie à ce retour inattendu. Les anciens Appalachites, dans la Floride, saluaient le soleil à son lever et à son coucher par des chants de reconnaissance et le priaient de revenir au temps convenable les réjouir de sa lumière. Si la terre portait toujours des fruits, quel serait le fondement des fêtes religieuses célébrées au temps des semences et de la moisson ? C’est parce que tantôt elle ouvre son sein, et tantôt le referme, que ses fruits paraissent à l’homme des dons volontaires pour lesquels il doit la remercier. Les changements de la nature seuls rendent l’homme incertain, inquiet, religieux. Je ne sais pas si demain la température sera favorable à mes travaux, si je récolterai ce que j’aurai semé ; je ne puis point, par conséquent, compter sur les dons de la nature comme sur un tribut qui m’est dû, comme sur une conséquence nécessaire ; mais là où finit la certitude mathématique, là commence la théologie, même encore aujourd’hui, dans les têtes faibles. Tout ce qui est nécessaire paraît à la religion quelque chose d’arbitraire lorsque des circonstances variées semblent parfois y apporter quelque modification. La manière de voir entièrement opposée, celle de l’impiété et de l’irréligion, est représentée par le cyclope d’Euripide lorsqu’il dit : « La terre doit, qu’elle le veuille ou non, produire de l’herbe pour mes troupeaux. »