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moi, (avec le courage du désespoir).

S’ils doivent y passer, voyons, finissons-en.
Prête-moi quelque peu ton secours malfaisant,
Et…

jules, (redevenu goguenard).

Et…Pendant tes deux mots j’ai fait de la besogne.
Quelques-uns sont trop longs,… faut-il que je les rogne ?
Le paquet n’est pas lourd !…

moi, (avec exaltation).

Le paquet n’est pas lourd !…Bourreau ! trois fois bourreau
Tiens, tu n’as pas fouillé jusqu’au fond du bureau.
Ceux-là s’étaient blottis derrière ce volume,
Prends-les. Tiens, prends encor, au sortir de ma plume,
Ceux qu’à l’instant j’écris, les derniers…

jules, (avec une froideur cruelle).

Ceux qu’à l’instant j’écris, les derniers…Pas d’aigreur.
Toi si doux, toi si bon, te fâcher ?… quelle horreur !
Viens… mais non, je crains trop de faire de la peine ;
J’allais t’inviter… Bah ! j’irai seul à la Seine.
Reste, sans trop pleurer ; je rentre, et suis à toi.

moi, (avec désolation).

Adieu, vous qu’on arrache à mon paisible toit !
Adieu, mes bons amis !… Noyés !!… est-ce possible !!!…

jules, (se préparant à partir).

As-tu bientôt fini, vieux père au cœur sensible ?
Sans rancune ! je cours ;… touche-moi dans la main.

moi, (à demi égaré).

Tiens, sors vite, voilà. Dieu te garde en chemin !
Ne les fais pas souffrir… Ah !… le paquet culbute…
Qu’un esprit secourable adoucisse leur chute !!! —
(À moi-même.)
Après tout, morts pour morts ;… ma foi ! consolons-nous,
Le public est un fleuve où les vers tombent tous
Et roulent, submergés par sa lourde paresse ;…
Autant vaut les noyer par l’eau que par la presse ! —


8 septembre 1839.


Post Scriptum.

Ces vers ne sont pas neufs ; ils ont juste douze ans.
Bien loin de succomber aux destins malfaisants,
Comme ils ont pu nager jusqu’à bonne distance,
Ils ont tous esquivé leur mortelle sentence.
Même depuis ces jours beaucoup d’autres sont nés,
Cadets que j’ai fait voir bien avant leurs aînés,
Rimes où j’ai traduit d’autres béatitudes
Que ce qu’on goûte au temps des folâtres études,
Chants tombés de la corde au suave bonheur,
Poëme où chaque mot est fait de l’or du cœur,
Où l’on voit la riante et chaste ménagère
Venant où vint si peu la péri trop légère,
Amie à l’âme sûre et par qui vos longs jours
Dans l’espoir, le labeur sont soutenus toujours,
Compagne au sein béni, d’un digne amour jalouse,
Abritant notre sort sous son voile d’épouse,
Astre sous notre tente, et qui fait flamboyer
Une auréole pure autour du saint foyer…
Oui, de ces biens sans nom que l’étourdi renie
En d’intimes accents j’ai versé l’harmonie,
Oui, mes vers, doux ruisseaux aux bords fleuris parfois,
Pour chanter ces bonheurs se sont fait une voix ;
— S’ils sont venus à tort, qu’un ordre les rassemble ;
Nous allons les noyer, non, les relire ensemble !


25 septembre 1851.



Paris. — Typographie de E. et V. PENAUD frères, rue du Faubourg-Montmartre, 10.