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LA NOYADE.

ÉLÉGIE DIALOGUÉE ET TRAGIQUE
À JULES TH · · · · · ·


Le mieux est, mon cher fidèle, de faire un paquet des poèmes inachevés, des albums ébauchés, des romans en travail, et autre linge sale de notre jeunesse illusionnée, et de le jeter, toi dans la Seine, moi dans la Saône, afin qu’il n’en soit plus question · · · · ·
(Lettre de Jules.)


moi, (à Jules).

Allons ! ces chers enfants, tu veux que je les noie…
Mais qu’une fois encore au moins je les revoie,
Et qu’en père attendri leur faisant mes adieux,
Je les jette dans l’eau, quelques larmes aux yeux :
(À mes vers.)
Venez, pauvres petits que personne n’accueille ;
Venez, arrivez tous ; ouvrez-vous feuille à feuille,
Secouez la poussière où l’oubli paternel
Vous eût fait un séjour plus ou moins éternel,
Et, tout autour de moi disposant votre armée,
Laissez courir sur vous ma paupière alarmée,
Comme un homme, voyant son-fils au lit de mort,
Le regarde, l’embrasse, et le regarde encor ;
Laissez-moi parcourir ces pages raturées
Où, tout jeune, volant quelque heure à mes soirées,
Inhabile, en cachette, et d’un crayon honteux,
Ma main vous déposait informes et boiteux ;
Venez, vous que plus tard l’étude journalière
Revêtit d’une allure un peu plus régulière ;
Et vous, qui par lui-même enfin fûtes prônés,
Qui l’aviez ébloui, mes feux-follets, venez !
Venez, mais sans chercher d’ordre ou de symétrie ;
Accourez pêle-mêle, ô ma bande chérie,
Sans trouble toutefois, sans choir de mon bureau…
Vous auriez froid, petits, pieds nus sur le carreau ;
Et quoique votre mort, las ! pour bientôt s’apprête,
Jusqu’au dernier instant je veux vous faire fête.
(À Jules.)
Tiens, Jules, les vois-tu, mélangés dans leurs rangs,
S’éveiller ? les petits se hisser sur les grands ?
Les grands leur donner aide ? et cheminer ensemble
Pour arriver au but où ma voix les rassemble ?
D’abord pressés, tassés, dans cet encombrement
L’air, les traits de chacun sont cachés un moment ;
Mais voilà que les pas prennent de la distance,
Le troupeau s’éparpille, est à l’aise, et s’avance. —
Les uns, vrais chevaliers bardés des pieds aux reins,
Soutiennent gravement leurs lourds alexandrins,…
Le diable de Callot ne les ferait pas rire ;
D’autres sont hérissés, ils sentent la satire ;
Lentement, derrière eux, marchent d’un air contrit
Quelques enfants plaintifs que l’amour me surprit ;
Plus loin en sautillant, la simplette romance
Nous fredonne les sons d’un air qu’elle commence :
Gracieuse ou pensive en son rhythme léger,
Sans choix, parmi ses sœurs, elle vient se ranger,
Tandis que svelte et prompte, et comme une fusée,
La ballade fluette, avec sa rime aisée,
S’élance, et monte en l’air, hôte des régions
Où des sylphes badins dansent les légions,
Et qui, nous visitant dans la nuit sur la terre,
Vient nous conter tout bas quelque riant mystère ;
Enfin viennent aussi ces mille petits nains
Êtres insoucieux, sans douceurs ni venins,