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CINQ SONNETS[1]


PRINTEMPS

À Julie


Quand avec moi tu viens, ange et compagne aimée,
Matinale et hâtive et secouant ton sommeil,
Dans la prairie humide et de perles semée,
De la jeune nature épier le réveil ;

Quand tout frissonne et s’ouvre à l’haleine embaumée
Que l’herbe et la poitrine ont un bonjour pareil…
Oh ! je voudrais chanter dans une hymne enflammée
Tout ce que fait éclore un rayon de soleil :

Chanter l’ébat joyeux de l’oiseau sur la branche,
La marche de l’insecte, ou la voix du ruisseau,
La sève qui parcourt le chêne et l’arbrisseau,

La senteur du lilas et l’aubépine blanche,
L’air pur, les fleurs, l’amour… l’amour, cette autre fleur
Que le ciel sème en nous pour parfumer le cœur !


GUIRLANDES

Aux lutins des prairies.


Les prés en sont semés ;
Vos corbeilles sont grandes…
Courez, joyeuses bandes ;
Cueillez, les yeux fermés.

Vingt faisceaux parfumés ?…
Bien ! — Cherchez vos offrandes,
Et tressez des guirlandes
Pour tous les fronts aimés :

Une au front blanc du père ;
Une autre pour la mère ;
Et d’autres pour l’enfant,

Pour le frère, et l’amie,
Pour la vierge endormie
Qu’un chaste amour défend !


VOILE

À ***


Quand du monde arrive
Ce regard quêteur
Dont l’éclat s’avive
Par un feu moqueur,

Frêle sensitive
Qui des yeux a peur,
La douleur craintive
Fuit au fond du cœur.

Les larmes rentrées
Ne sont plus montrées :
Frais, calme, saveur ;

On rit ; tout s’étoile ;…
Le rire est un voile
Sur un front rêveur.


SOMMEIL D’ENFANT

À V. (La mère parle.)


Dors, mon beau petit ange ;
Dors, mon ange adoré ;
Dors ; c’est un charme étrange
Pour mon cœur enivré.

Sur ton berceau j’arrange
Le rideau désiré ;…
Si ton front se dérange,
Dors, je le soutiendrai.

Comme un ruisseau sans ride
Ton sommeil est limpide ;…
Oh ! la fraîche candeur !

En toi le ciel respire…
Dieu prendrait ton sourire
Pour en faire une fleur !


LA PRIERE

À l’abbé H


La nature est un temple où tout prie et rend grâce,
Où tout chante à toute heure un solennel concert ;
C’est un autel immense où chaque être a sa place
Pour jeter sa prière au Dieu puissant qu’il sert.

De tous les points du sol on entend dans l’espace
Monter, comme un encens pieusement offert,
Un vaste et doux murmure, hymne fervent qui passe,
Sortant de chaque sein incessamment ouvert :

C’est la voix du brin d’herbe et des mousses cachées,
C’est la voix du haut chêne et du cèdre géant,
C’est la voix des monts verts et du sombre océan,

La voix des fraîches fleurs sur le ruisseau penchées…
— Et l’homme ? — Ambitieux, il s’égare aujourd’hui :
Les fleurs, l’herbe, les monts sont plus pieux que lui !

  1. Nouvel extrait du recueil qui aura pour titre : le Nid du poëte.