Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enseignement. Loin d’en être amoindrie, l’initiative individuelle en est surexcitée, et l’on a souvent des exemples comme celui que je vais vous conter.

M. Vassart était brasseur dans une petite cité, dont je n’ose pas vous dire le nom, car je prononce trop mal l’anglais ; cet honnête homme, devenu fort riche à fabriquer de la bière, eut un jour le désir de fonder une école de troisième degré pour l’éducation des filles. Il s’en vint trouver le bureau d’enseignement, portant sous le bras une petite cassette ; il fit un petit discours, puis il tira de sa boite la modeste somme de 2 500 000 francs, prélevée sur ses économies. Il l’offrait pour construire un collège de jeunes filles, avec les mêmes programmes que les collèges de garçons.

Bientôt s’élève sur les bords de l’Hudson, dans cette petite ville que je ne sais pas nommer, un palais magnifique ; il est bâti sur le modèle et les dimensions du palais des Tuileries ; il peut recevoir 400 jeunes filles qui y trouvent tout ce qu’il faut pour leur instruction, non point l’éducation futile des pensions de demoiselles, mais cette éducation égale, virile, qu’on réclame ardemment pour elles dans notre pays.

Je me demande pourquoi nos mœurs sont si éloignées de ces mœurs généreuses de la libre Amérique ? Ce n’est pas que nous soyons moins riches ; la richesse de la France – ceux qui nous gouvernent l’ont dit – est inépuisable, et la preuve qu’ils ont raison de le dire, c’est qu’ils ne l’ont pas épuisée (Applaudissements) ; mais ce qui nous manque, c’est l’habitude, le bon vouloir, la mode et, aussi, la liberté des fondations. Et c’est pour cela que nous admirerons longtemps encore l’Amérique sans rivaliser avec elle. Et c’est pour cela que cette noble utopie, qui n’est pourtant qu’une idée française, dans son origine aussi bien que dans ses détails, il n’a pas été donné à la France de la réaliser !

C’est aussi qu’ici-bas, messieurs, on ne saurait cumuler les gloires de la guerre avec les gloires de la paix, et que, quand on donne 700 millions par an au budget de la guerre, il n’est point étonnant que l’on n’en trouve plus que 50 pour l’instruction du peuple ! Il est triste de mettre nos misérables chiffres à côté des chiffres grandioses de la jeune Amérique. Il est humiliant de constater que la seule ville de New-York