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Faculté des lettres, M. Hippeau, que M. Duruy avait envoyé en Amérique en mission spéciale. Cet homme excellent, mais, en sa qualité d’universitaire français, ayant bien, comme vous pensez, quelques préjugés, pouvait juger l’Amérique en complète impartialité. Il en convient, il ne se doutait pas de ce qu’il allait rencontrer ; mais aussi comme il a bien vu, comme il a bien dit, et comme il ne marchande pas les éloges aux choses qu’il a vues ! C’est un guide sur lequel on peut se reposer. C’est lui qui nous explique ce grand phénomène de la gratuité de l’enseignement, en Amérique, non seulement pour l’enseignement primaire, non seulement pour l’enseignement secondaire, non seulement pour l’enseignement que nous appelons supérieur dans notre langue à nous, non seulement pour l’enseignement spécial et professionnel, mais pour une partie du haut enseignement humanitaire. En effet, il y a en Amérique, dans toutes les cités qui comptent cinq cents familles, une école dans laquelle on apprend, en premier lieu, toutes les sciences positives qui font l’objet de nos trois degrés d’enseignement français, où l’on apprend, en second lieu, du latin et du grec tout ce qu’il importe d’en savoir ; on n’apprend pas à faire les vers latins, mais on apprend à lire les auteurs latins qui ne sont pas trop difficiles. Voilà ce qui est enseigné gratis à sept millions d’enfants, tandis qu’en France nous comptons 500 000 enfants qui fréquentent les écoles primaires. L’Amérique a 200 000 écoles publiques et gratuites ; l’Amérique a un budget de l’instruction publique, qui n’est pas le budget de la République américaine, mais qui est le budget des différents États, et surtout le budget des communes, et la somme totale est, savez-vous de combien ? C’est admirablement effrayant : la libre Amérique dépense tous les ans 450 millions pour les écoles publiques, et, moyennant ces 450 millions, on ouvre généreusement toutes les grandes sources du savoir humain à sept millions d’enfants, et l’on donne à ces sept millions d’enfants de toutes les classes une instruction qui n’est reçue que par le petit nombre des enfants de la bourgeoisie de France. (Applaudissements.)

Et ce n’est pas tout, messieurs : il n’y a pas seulement l’instruction gratuite, commune et publique ; il existe, côte à côte des pensions payantes ; il y a de grands collèges, des académies,