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de l’esprit et du génie français ; celle tradition, qui était l’œuvre propre et glorieuse du dix-huitième siècle, eh bien, où fleurit-elle, où rayonne-t-elle à cette heure, de façon à nous éblouir et à nous confondre ? Par delà les mers, dans la libre et républicaine Amérique.

Il se passe là une chose curieuse, admirable, et qui, comme Français, me ravit ; il y a là un système d’éducation qui est la réalisation, mot pour mot, du plan de notre grand Condorcet. Tout s’y retrouve, non pas sous la forme de ces plans qui honorent les assemblées qui les émettent, alors même qu’elles ne peuvent pas les réaliser, mais dans la vérité, dans la réalité, dans la pratique des choses. Tout s’y retrouve : d’abord l’enseignement à base scientifique, puis l’enseignement gradué comme le voulait Condorcet, et qui dure le même nombre d’années, qui prend l’enfant à six ans, et qui ne le laisse qu’à quinze ans.

Cet enseignement américain se divise en trois degrés, de quatre ans chacun. Par suite, il y a, en Amérique, trois sortes d’écoles publiques. Toutes les écoles dont je vais parler sont publiques, subventionnées non par l’État : – en Amérique, l’État est un pauvre (rires) ; – c’est la commune qui est riche, et c’est elle qui paye, en grande partie, toutes ces écoles ouvertes à tous.

Les trois degrés s’appellent : l’enseignement primaire, l’enseignement de grammaire (grammar school), et le haut enseignement (high school). C’est exactement l’idée de Condorcet. Ces trois espèces d’écoles sont également répandues sur tout le territoire, et l’Amérique fait preuve en cela d’une singulière puissance. La loi impose à toute commune (township, petit district), d’avoir non seulement une école primaire, – cela c’est bon pour la France, mais comme il convient à cette grande Amérique, où tout se taille dans le grand, chaque commune est obligée d’avoir une haute école. Cela vous étonne, messieurs ; moi aussi, j’ai été surpris, et j’ai cru, en vérité, lire quelque beau roman social, ou quelque conte de fée. Eh bien, non ; cette découverte a été faite, elle est authentique, officielle, et elle est consignée dans le plus officiel de tous les documents : un rapport fait au ministre de l’Instruction publique par un honorable inspecteur de l’Université, professeur à la