Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Voilà ce que je voulais dire du système de Condorcet, et ce vaste enseignement, commun à tous les citoyens, qui prenait l’enfant à l’âge de 6 ans et qui le menait jusqu’à 18 ; ce vaste enseignement devait être GRATUIT, et le philosophe expliquait, par des raisons sur lesquelles je n’ai pas à revenir, comment cette gratuité était le seul système en harmonie avec une société démocratique. (Applaudissements.)

Le plan de Condorcet, ce qu’on a appelé l’utopie de Condorcet, survécut à son auteur. Il inspira toutes les discussions sur l’enseignement qui suivirent ; la Révolution a vécu là-dessus pendant longtemps.

À la Convention, Condorcet étant mort, de cette mort sublime que vous savez, après avoir écrit ce magnifique tableau des Progrès de l’esprit humain, qui est un des titres les plus glorieux de la pensée humaine, au dix-huitième siècle, son plan d’éducation fut l’objet des plus vives attaques ; on ne craignit pas de lui opposer un système trouvé dans les papiers de Lepelletier de Saint-Fargeau, ce conventionnel qui fut, comme vous le savez, assassiné dans un café par le garde du corps Paris. Ce système était très long, très diffus, d’ailleurs tout à fait digne d’une république antique, une rêverie Spartiate : le fond, c’était que l’enfant devait être enlevé à sa famille et appartenir à la République. Robespierre qui prétendait, uniquement parce qu’il n’en était pas l’auteur, que le plan de Condorcet n’avait aucune valeur, défendit, assez faiblement d’ailleurs, les conceptions de Lepelletier. Mais la Convention, qui était une assemblée d’un grand bon sens, les rejeta avec ensemble. Duhem, qui était montagnard, et non des moins farouches, s’écria : « Nous ne voulons pas de la république de Sparte, car Sparte n’était qu’un couvent » (il avait raison), et Grégoire dit : « Ce n’est pas par là que nous réformerons l’éducation ; l’enfant appartient à la famille, laissons-le lui, mais instituons un système nouveau d’éducation. Reconstituons la nature humaine, en lui donnant une nouvelle trempe ! Il faut que l’éducation publique s’empare de la génération qui naît ! »

Donner une nouvelle trempe à l’humanité : tout le dix-huitième siècle est dans ces paroles : elles le peignent tout entier : philosophes et législateurs. Le dix-huitième siècle n’avait rêvé rien de moins que de régénérer l’humanité tout entière, et là,