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Condorcet, d’abord, fondait l’enseignement sur une base scientifique. A ce moment, le vieil enseignement littéraire de l’Église avait encore de brillantes apparences ; les collèges des jésuites formaient des élèves incomparables pour les vers latins et pour les exercices de mémoire ; cette tradition, du reste, ne s’est pas interrompue : j’ai connu un jeune homme qui avait été élevé chez les jésuites et qui en avait rapporté un grand profit : il pouvait, en sortant de leur collège, réciter l’Iliade tout entière, les douze chants, en commençant par le dernier vers. (Rires.)

Condorcet exécute, en quelques mots, ce système classique qui n’est bon, dit-il, qu’à former des dialecticiens et des prédicateurs : il veut que désormais on forme des hommes et des citoyens.

Ce vieux système, messieurs, prenons-y garde, n’est pas si mort qu’on pourrait le croire ; nous y avons tous passé, je parle pour moi au moins ; sans remonter bien haut, il y a une vingtaine d’années, l’enseignement de l’Université française ressemblait singulièrement à celui des jésuites, et il semblait qu’on ne se proposât d’autre but dans les collèges que de former des gens capables d’exprimer leurs idées… et pour tout dire d’un mot, rien que deux espèces d’hommes : des journalistes et des avocats.

Je suis avocat, journaliste, et par conséquent je dois de grands égards à ces deux professions ; seulement, je conviens, entre nous, que si l’humanité ne se composait que de journalistes et d’avocats, elle ferait une assez triste humanité. (Applaudissements.)

Non, ce qu’il faut former, ce ne sont pas des virtuoses assemblant des phrases avec art ; ce sont des hommes et des citoyens ! Cette idée domine tout le plan de Condorcet. C’est pourquoi il donne à l’enseignement général une base scientifique ; il entendait par là non pas seulement les sciences mathématiques et naturelles, mais les sciences morales. Dans les pages consacrées à l’enseignement primaire, il est vraiment exquis de voir ce grand esprit se faisant petit pour les petits, expliquant que la lecture et l’écriture ne doivent être que les instruments de la première éducation morale, détaillant avec précision, avec tendresse, peut-on dire, la façon de confectionner le petit