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Je n’ai point fait de mal qui vaille qu’on me blâme !
Ai-je volé d’autrui ni le bien, ni la femme ?
Suis-je un coupeur de bourse ? un reître ? un spadassin ?
Un tueur d’hommes ? — rien… pas même médecin !
Je fais rire — c’est là mon rôle sur la terre ;
Je fais rire les gens : or, rire est salutaire.
Et le peuple, prenant plaisir à ma chanson,
Je me dis bienfaiteur du peuple… à ma façon !
Alors ?…

Il s’assied sur la chaise à droite de la première table où est resté le flacon de Mondor. — Le regardant machinalement.

« Philtre d’amour ! » oui ! j’en sais la merveille !
Comment Mondor a-t-il laissé là sa bouteille ?
Il est très-convaincu, Mondor, très-convaincu.
— Pardieu ! chaque flacon vaut, au moins, un écu —
Le bourgeois de Paris est crédule — il achète !…
Et c’est pourquoi Mondor répond de sa… recette !
Philtre amoureux !…
Philtre amoureux !…— De l’eau claire, certainement !
Et quand Mondor soutient que c’est un philtre, il ment !
« Philtre d’amour ! »
« Philtre d’amour ! »— Heureux es-tu, bourgeois ignare,
Qui peux croire à ces vains prodiges qu’on te narre,
Et, payant un écu ce flacon d’élixir,
Bois — à ce prix — l’espoir de te faire chérir !
Douces illusions ! chimères fortunées !
Oh ! que je donnerais mes plus belles années,
Mon nom de Tabarin, ma gloire de tréteaux,
Pour m’éveiller, ce soir, quelqu’un de ces badauds !
Que je voudrais avoir la foi du populaire,
Ô mon âme ! — et quel bien nous ferait cette eau claire !

Se levant, la fiole à la main.

— De l’eau claire ? pourquoi claire ?… Doute moqueur !
Doute obstiné !… sors donc une fois de mon cœur !
Laisse, comme un rayon glissant dans ma nuit sombre,
Que revienne l’espoir, et ne fût-ce qu’une ombre,