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FRANCISQUINE.
Elle remonte vivement par le petit escalier à droite. — Elle devra placer ce cri de : Tabarin, au milieu du couplet, avant l’entrée de Tabarin.

Tabarin !

TABARIN.

Tabarin ! Non ! je tiens ferme — je m’étourdis —
Rien ne tourne !… malheur !
— Que les pots soient maudits !
Que maudits soient les ceps, les treilles et les souches !
Pleuvent les ouragans et les grêles farouches !
Se dessèche le sol, vigne, qui te nourrit !
S’éteigne le soleil de feu qui te mûrit !
Périsse ton raisin sur la terre inféconde,
Puisque le vin, dernier recours du pauvre monde,
Le vin — comme l’amour, mensonge et trahison —
Le vin ne suffit plus à m’ôter la raison !
… Oh ! misère de moi ! Je me souviens encore.
Et dans le bouge — où l’on s’endort au bruit sonore
Des verres — sous la table où le vin a coulé,
Mes amis de bouteille avaient déjà roulé.
De rudes compagnons pourtant ! buveurs solides !
Moi seul, je demeurais, seul devant les brocs vides,
Buvant encor, toujours, entassant pot sur pot,
Et quand j’ai quitté, las de boire, le tripot,
J’ai senti, comme avant, acharné sur sa proie,
L’implacable vautour qui me ronge le foie !
— Elle ne m’aime pas ! son cœur est sans pitié !…
Pour quel crime, Dieu bon ! suis-je donc châtié ?
Quels forfaits assez grands ont armé ta colère,
Et de quelles noirceurs est-ce là le salaire ?
Je vis, ployant mon âme aux caprices du sort,
Joyeux parfois — souvent triste jusqu’à la mort,
Sans que jamais, et même en ma pire fortune,
J’aie ennuyé le ciel d’une plainte importune.
J’exerce mon métier sans léser mon prochain,
Et c’est honnêtement que je gagne mon pain.